Un appétit féroce de décentralisation
La nature a horreur du vide, le paysage institutionnel aussi. Et quand l’Etat défaille, les acteurs locaux viennent combler le vide. Leur appétit s’aiguise, et les grenouilles se voient devenir bœufs.
Des régions aux communes, ces petites républiques locales fortes de leur clause de compétence générale, on demande, voire on intime, à l’Etat de laisser la place, lui qui ne sait plus faire. Au vrai, quand l’Etat dit que « les masques, ce n’est plus lui » et que, la crise venue, ce n’est en fait plus personne, les collectivités ont beau jeu de prendre la main et, à leur échelle, petite, de combler le manque.
Stabilité
Quelques mois auparavant, les élus abordaient avec circonspection le projet de loi « 3D » et demandaient surtout de la stabilité, du cosmétique, après une séquence de réorganisation territoriale éprouvante, pendant le mandat de François Hollande.
Aujourd’hui, plus rien ne les arrête, ils prennent tout : la santé, la fiscalité, le développement économique… Leur argumentaire se veut imparable. Etape une : « On ne peut que constater l’absence de l’Etat, l’Etat stratège ne joue pas son rôle. » Etape deux : « Les collectivités, en proximité, ont seules le vrai souci des Français, et l’agilité pour agir. L’Etat doit donc leur passer la main, avec un nouvel acte de décentralisation ». CQFD.
Egalité
Sauf que, tout à leurs conquêtes, ces ambitieux omettent une étape trois qui (ré)organiserait l’égalité ou l’équité entre collectivités. On le sait bien, la somme des intérêts de ces « petites nations » que sont les territoires, comme les appelait au printemps dernier l’association des DG d’intercos, ne fera pas nation. Dès lors, revendiquer des compétences politiques fortes sans un mot sur les solidarités et coopérations territoriales, ce serait faire marche arrière, en autorisant toutes les concurrences et les dumpings.
Pour Benjamin Morel, directeur des études de l’Institut Rouseau, « la décentralisation ne produit pas d’inégalité à condition d’une action massive de l’Etat, en matière de péréquation et d’aménagement » (1). Après la crise, décentraliser encore, pourquoi pas ? A condition de retrouver un Etat capable, au service du territoire.
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