Récolte et hivernage à Podor : Les producteurs prient le ciel de bloquer ses vannes
La récolte du riz dans la vallée du fleuve Sénégal coïncide, cette année, avec le début de l’hivernage dans cette partie du pays. Une situation qui installe l’inquiétude chez les producteurs de Ndioum qui prient le ciel de bloquer ses vannes, le temps de mettre leurs graines à l’abri.
« Ndunngu alaa ganio », un proverbe pulaar signifiant littéralement « l’hivernage n’a pas d’ennemis ». Mais, dans le département de Podor, cette expression ne semble plus faire l’unanimité en cette période de récolte. Dans cette partie du pays, où l’agriculture est l’activité la plus pratiquée, l’arrivée de l’hivernage est toujours bien accueillie par les populations, plus particulièrement les cultivateurs, mais cette année, la situation est tout autre. Dans la commune de Ndioum, où la récolte du riz a déjà débuté, l’arrivée des premières gouttes d’eau n’est pas une bonne nouvelle. La parcelle est encore humide, mais pas question de perdre un jour de plus. Après un bref tour de son périmètre, Iba a pris sa décision. La cinquantaine et dans l’agriculture depuis plus de 20 ans, il a capitalisé assez d’expériences pour prendre les bonnes décisions. D’un ton ferme, il ordonne à ses hommes de passer à l’action. « Vous pouvez commencer. Ne perdez pas de temps », a-t-il lancé à l’endroit de l’équipe chargée de la récolte. Nous sommes au niveau de la zone appelée « IAI 27 », un secteur bien connu dans la cuvette de Ndioum. La dernière pluie enregistrée, ces derniers jours, n’a pas fait que des heureux. Alors qu’ils attendaient que les champs se vident de leurs eaux pour entamer la récolte, dame nature a fait ses effets avec une forte pluie. Une nouvelle donne qui chamboule totalement les plans de ces braves paysans.
« Nous sommes dans une situation inédite. Nous voulons tous de l’eau en tant que cultivateur, mais la période n’est pas propice, surtout que nous avons des centaines d’hectares qui sont à terme. Avec la pluie, nous pouvons perdre énormément. C’est pour cela que je suis obligé de commencer la récolte malgré les difficiles conditions. Il y a encore de l’eau dans les parcelles, mais le ciel ne nous laisse pas le choix », avance Iba Diop.
Notre interlocuteur est inquiet, car il sait d’avance que la pluie et les vents ont des conséquences néfastes sur le riz arrivé à terme. Pourtant d’autres, plus optimistes, jouent les prolongations. « Je devais commencer il y a de cela trois jours. Mais, avec cette forte pluie, j’étais dans l’obligation de changer de date. Le riz est arrivé à terme et c’est le moment idéal pour le récolter. Nous ne pouvons rien faire, seulement attendre encore quelques jours. Nous voulons certes entamer, mais Dieu aussi a son agenda que nous ne maîtrisons pas », avance Mamadou Aliou Diallo.
Une course folle contre la montre !
Pour lui, il n’est pas question de récolter dans l’eau. Optimiste, il pense que Dieu va fermer les vannes pour une bonne période, le temps que les producteurs terminent leur travail. « Cela ne me coûte rien de patienter encore quelques jours. Espérons seulement que le ciel soit plus clément avec nous », prie le sieur Diallo.
Iba Diop ne voit pas les choses de la même manière. Avec deux hectares emblavés, dont l’un est à maturation, il est hors de question de perdre du temps. « Je ne pense pas que cela soit pertinent d’attendre. Nous n’avons pas le choix. La pluie est du ressort du Tout-Puissant et nous ne maîtrisons pas son calendrier. Dès l’instant que je peux mettre les pieds dans le champ, je vais démarrer. Je ne sais pas ce que le ciel nous réserve », insiste notre interlocuteur. Joignant l’acte à la parole, il donne le top départ en coupant les premiers épis. Une longue et épuisante journée s’annonce pour lui et ses hommes.
Dans ce même secteur, pratiquement toutes les parcelles sont à terme. Pour cette campagne, les producteurs ont utilisé plusieurs variétés. Au niveau de la zone « IAI 27 », c’est le Sahel 387 qui est exploité. Avec un cycle estimé à 3 mois et 15 jours, cette variété répond aux attentes des exploitants. « C’est un cycle court qui correspond aux aspirations des producteurs. Pour des gens qui dépendent pratiquement de l’agriculture et de la vente du riz, cette variété est la mieux adaptée », affirme Mamadou Bâ.
Le tuyau de drainage tourne en plein régime, mais le niveau de l’eau n’a pratiquement pas bougé. À l’aide d’une pelle, Souleymane Sow s’active sous le chaud soleil. Il tente d’agrandir les conduites pour permettre à l’eau de sortir le plus rapidement possible. « L’eau sort, mais le rythme est trop lent. Pour ne pas rester les bras croisés, nous essayons de dégager les champs en creusant des conduites. S’il y a du vent et que la pluie ne s’invite pas de nouveau, nous pouvons commencer dans cinq à six jours. Nous croisons les doigts », espère-t-il. La récolte en plein hivernage n’est pas une nouveauté dans cette partie du pays. À chaque fois qu’une telle situation se présente, les producteurs essayent de s’adapter tant bien que mal.
Pas question d’attendre les moissonneuses-batteuses !
Il est 12h45 et la température affiche 36 degrés. Casquette bien vissée pour se protéger des rayons du soleil, Jules donne l’impression de parler avec lui-même. Nous sommes à « IAI 21 », une autre partie de la cuvette où le riz attend d’être récolté. « La première pluie a installé la peur. Nous avions l’habitude d’avoir la pluie vers la fin du mois d’août. Mais, cette année, ce n’est pas le cas. Nous ne savons pas par quel moyen, mais nous allons entamer la récolte. Si les pluies s’enchaînent, nous risquons de perdre nos investissements. Il faut déjà s’y mettre et essayer de sauver ce qui peut l’être », conseille-t-il.
De loin, un bruit inhabituel alerte les passants. Pagnes bien noués, un groupe de femmes s’activent de l’autre côté du canal d’irrigation. Devant elles, des fûts vides alignés. Elles se saisissent des tiges de riz posées à leurs côtés pour donner de retentissants coups aux fûts. Une technique utilisée en l’absence des moissonneuses-batteuses et qui permet de séparer les graines de riz de la tige. Dans cette zone de Ndioum, ces femmes portent le sobriquet de « lappa diaaro », en d’autres termes, « moissonneuses-batteuses ».
Elles viennent des localités environnantes, à la recherche de travail. « Nous n’avons pas les moyens pour pratiquer l’agriculture, mais nous avons notre énergie et notre volonté. Nous parcourons la cuvette à la recherche de travail. Et c’est avec cela que nous parvenons à entretenir nos familles respectives », témoigne Ndiabel, la trentaine, venue de Ngane, un village situé dans l’île à Morphil.
Comme Ndiabel, elles sont nombreuses à parcourir la cuvette pour offrir leurs services. En l’absence des machines (moissonneuses-batteuses), c’est ces braves dames qui font le nécessaire. Et pour la présente campagne, elles ne devraient pas encore chômer. Les engins tardent encore à se signaler. Et avec l’hivernage qui s’installe petit à petit dans cette partie du nord du pays, la chance pour les producteurs de les voir devient mince. « C’est vrai qu’avec les machines, la récolte est faite en une journée. C’est rapide, mais coûteux. Avec ce ciel menaçant, il est impensable d’attendre. Nous allons commencer jeudi, s’il plaît à Dieu », renseigne Seydou Thiam.
Cet homme âgé de 70 ans n’est pas le seul à penser ainsi. Les premières gouttes enregistrées ont considérablement changé la donne, les obligeant à revoir leurs copies. Il faudra être ingénieux et exploiter la moindre occasion pour prendre les devants. Depuis pratiquement trois jours, le ciel n’a pas ouvert ses vannes. Mais, pour combien de temps encore ?
Le Soleil
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