Libre échange avec… Serigne Guèye Diop, ministre-conseiller du chef de l’Etat : «Il est important que le conseil scientifique s’intéresse aux communes»

Libre échange avec… Serigne Guèye Diop, ministre-conseiller du chef de l’Etat : «Il est important que le conseil scientifique s’intéresse aux communes»

Le ministre-conseiller du chef de l’Etat sur les questions agricoles et industrielles et ancien directeur général de la recherche de Nestlé pour l’Afrique déplore l’absence du conseil scientifique dans la gouvernance territoriale. Serigne Guèye Diop, par ailleurs maire de la commune de Sandiara, estime qu’il est important que le conseil scientifique s’intéresse aux communes. A travers cet entretien, en marge d’un colloque scientifique international sur l’employabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin, il a démontré comment il s’en est servi pour développer sa commune souvent citée en exemple.

Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ce colloque sur l’employabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin ?
Les questions du développement local et de développement national sont deux choses qui m’intéressent particulièrement. D’abord en tant que ministre-conseiller sur les questions de l’industrie et de l’agriculture où nous devons réfléchir à l’effectivité de ces politiques dans les zones économiques spéciales. Nous en avons trois, et il en faut d’autres. Les objectifs aussi d’emploi sont clairs. On ne les a pas encore atteints. Il y a aussi la question des agropoles qui sont censés augmenter la productivité, la production et l’emploi des jeunes. On en a quatre dont l’agropole de l’Ouest dont je suis aussi le président. Ces politiques, nous devons les renforcer et les évaluer. Le rôle du conseil scientifique effectivement va être de conseiller le gouvernement, depuis la conception même de ces politiques-là à leur évaluation. C’est pour cela que c’est important pour le ministre-conseiller que je suis d’être présent à ces genres de rencontres pour comprendre comment l’Etat peut mieux travailler avec les chercheurs en science sociale, en science économique, en science médicinale, en science sociologique… Ces données nous permettent d’élaborer des politiques ou de les corriger. L’autre casquette c’est en tant que maire de Sandiara. Les communes sont les démembrements de l’Etat et elles doivent appliquer les politiques de l’Etat, le Plan Sénégal émergent au niveau local et le transformer en plans locaux de développement sauf que jusqu’ici, le conseil scientifique n’a pas vraiment ciblé les communes. On se contente jusqu’ici de conseiller l’Etat avec le Conseil économique, social et environnemental avec les universités. Et là aujourd’hui, je voulais aussi montrer que c’est important que le conseil scientifique sur les questions de politiques agricole, sociale, environnementale, industrielle, s’intéresse aux communes, parce que celles-ci sont l’unité de base de l’Etat. Nous sommes 557 communes et une quarantaine de conseils départementaux. Cela fait quand même 600 collectivités locales. Tout ce qui se fait au niveau national en termes d’approche scientifique doit aussi être fait au niveau local et c’est cette stratégie que j’appelle le «bottom up» qui nous permet d’avancer. Et j’ai profité de l’audience pour donner des exemples concrets de l’application du conseil scientifique.

En quoi le conseil scientifique a permis à votre commune de se développer ?
Avant que je ne sois maire, je me suis beaucoup intéressé à tout ce qui se passait à Sandiara, parce que j’étais président d’une association et j’ai construit des écoles et lycées que j’ai offerts à la communauté, des bourses aux étudiants. Quand j’étais en Suisse, je suivais de très près le développement de la commune. Et puis en 2014, avant que je ne sois maire déjà, j’avais élaboré justement cette méthodologie de diagnostic parce qu’en science, ce qu’on fait, si vous voulez régler un problème, il faut d’abord le diagnostiquer pour comprendre la cause racine. C’est le «fishbone analysis». Il faut que vous arriviez à comprendre la cause principale et les causes secondaires. C’est cela qu’on n’arrivait pas à faire. Une fois que vous avez fait ce diagnostic, il faut aller à la deuxième phase qui est celle d’hypothèses et de développement de projets. C’est ce qu’on a fait. Quel projet pour régler les problèmes qu’on a identifiés ? Après il faut évaluer. C’est ce qu’on a fait en 2014. En 2013 déjà, on a commencé avec mon groupe, mes adjoints et beaucoup de jeunes. On a commencé à réfléchir sur un programme en 12 projets. On s’est dit que si nous arrivons à régler ces projets fondamentaux à Sandiara, la commune va se développer. Et parmi les plus importants, c’était l’éducation. Il fallait mettre des écoles partout, 23 écoles. Il n’y avait pas beaucoup de collèges. Il fallait en mettre partout. On en a 8 aujourd’hui, 2 privés et 6 publics que nous avons construits aussi. Le premier c’est moi. Et la commune en a construit deux autres avec des partenaires. Et finalement, il y a beaucoup de collèges. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait un lycée technique et professionnel pour que les jeunes puissent avoir des métiers, parce que s’ils n’ont pas de métier, il y aura un problème d’employabilité. C’est le lycée technique et professionnel que le chef de l’Etat lui-même a offert à Sandiara à 10 milliards. Après ces programmes-là, nous avons aussi mis des programmes économiques et ça c’est le plus important, c’est l’industrie, la zone économique spéciale. Il y a Diamniadio et Diass, mais il n’y a aucune commune qui avait une zone économique spéciale. Et l’Etat a mis en place la zone spéciale économique et l’a confiée à la commune pour qu’on puisse maintenant créer des emplois au niveau local et qu’on puisse industrialiser la commune, mais pas seulement la commune. Tout le département de Mbour est concerné, afin que des jeunes de Kaolack, Casamance, du Nord puissent venir travailler là-bas. Ensuite, on a mis en place des politiques pour l’agropole. On avait 12 agropoles dans les villages, mais on a boosté cela pour que les gens restent dans leur village et travailler 12 mois sur 12. Après il y a d’autres programmes comme le plan d’occupation des sols. Comment faire un plan pour 25 ans, pour qu’on ait des zones industrielles à ne pas mélanger ? Il y a un programme pour les femmes, un autre pour les bourses des étudiants. Chaque année, on donne 10 millions aux étudiants de la commune pour qu’ils aient des logements à Dakar, Kaolack et Ziguinchor. Un autre programme très important dans le secteur tertiaire, c’est le port sec de Sandiara, le foirail de Sandiara avec son marché de bétails, de poissons et de légumes. Il y a aussi la grande gare routière que nous voulons construire. C’était un peu cela qu’on a proposé à l’issue de l’approche scientifique pour régler les problèmes. L’objectif c’est quoi ? Rostow le disait en 1960. Si vous voulez que ces zones qui viennent d’une économie traditionnelle puissent décoller, il faut investir massivement. Il faut mettre de nouvelles formes d’économie comme le secteur secondaire qui n’existait pas, les usines n’existaient pas. Mettre une agriculture totalement nouvelle avec les agropoles. Une autre structure totalement nouvelle c’est le tertiaire, le port. Le port, ce sont des milliers d’emplois. Un marché international, ce sont des milliers d’emplois. Une gare routière, ce sont également des milliers d’emplois. Donc c’est ce qu’on est en train de faire et c’est grâce aux conseils scientifiques, approches scientifiques qu’on a pu faire cela.

Combien d’emplois ont pu être créés grâce à tout cela ?
On a créé énormément d’emplois au niveau se Sandiara. Dans le secteur de la zone industrielle, depuis que les usines ont commencé, nous sommes à peu près à un millier d’emplois directs et indirects. Il y a des usines en cours de construction, à peu près une dizaine. Certaines fonctionnent déjà, d’autres pas encore, mais tout cela crée beaucoup d’emplois. Dans le village aussi, cela crée un pouvoir d’achat. Là où il y a le plus d’emplois aujourd’hui, c’est dans les agropoles. On en a 12 à Soussane avec les projets de melons. Tous les melons que vous voyez dans ces zones de Mbour viennent de Sandiara en général. Et cela embauche 2 000 à 3 000 personnes pendant la campagne, de novembre jusqu’au mois de mai, et cela génère beaucoup d’emplois. Sandiara c’est une petite commune de 36 mille personnes. Donc aujourd’hui, ces emplois dépassent le cadre même de Sandiara. Les gens viennent de Kaolack, de Mbour, de Tiadiaye, de Thiès travailler dans la zone de Sandiara et c’est un peu l’objectif. Mais l’objectif final, c’est d’arriver à 10 mille emplois en 2025 et à 20 mille en 2035 pour que ce soit vraiment un pôle comme la zone industrielle de Diamniadio ou celle de Diass. Et aussi faire en sorte qu’en amont et en aval de ces activités économiques et industrielles et aussi agricoles, que les femmes et les jeunes puissent aussi en profiter. Dans le transport par exemple des biens et des marchandises, que les femmes soient aussi impliquées dans la commercialisation de produits, dans la restauration, le commerce des fruits, des légumes et des poissons. Donc, c’est un écosystème que nous sommes en train de développer avec les universités. L’Ecole des Douanes vient à Sandiara, l’Ecole Sup de Co, l’Université de Dakar c’est très important. Et là, on va construire ces structures-là qui vont améliorer le conseil scientifique, étudier le problème des femmes, trouver des solutions, les problèmes des jeunes, des agriculteurs. C’est comme cela que nous voulons approcher le problème de développement local.

Quelles recommandations faites-vous aux autres maires pour booster l’employabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin au niveau local ?
Il n’y a pas de secret. Les emplois viennent de l’économie, de la création de valeurs. Pour créer des emplois, il faut d’abord créer des usines, des fermes agricoles, des ports. Donc c’est ce qu’on doit recommander aux maires, aux ministres et à tous ceux qui sont dans le domaine public ou même privé. Pour créer des emplois, il faut d’abord investir. Les emplois viennent de l’investissement et de la croissance, qu’ils soient publics ou privés, c’est ce qui crée des emplois et cette croissance vient de la consommation et des investissements. Maintenant, pour que les jeunes aient plus de chances de pouvoir être sélectionnés, il faut développer l’employabilité, c’est-à-dire leur formation dans des lycées techniques, des Isep, des universités. C’est un peu ça la bonne approche et surtout arriver à ce qu’on appelle la relation école-entreprise. C’est comme cela que le jeune qui est au lycée technique de Sandiara le lundi, mardi, mercredi et jeudi peut aller à l’usine de poulets ou celle de poissons. C’est ce qu’on appelle la formation école-entreprise et la formation duale qui est la plus rapide pour régler le problème de l’employabilité des jeunes.

Le Quotidien

Share this content: