Ibrahima Etia, Coordonnateur du 2CD sur le Hcct : « Une institution pour réussir la politique de décentralisation du Sénégal »

Ibrahima Etia, Coordonnateur du 2CD sur le Hcct : « Une institution pour réussir la politique de décentralisation du Sénégal »

Journaliste et expert en décentralisation, le Coordonnateur du Cercle des Communicants en Décentralisation (2CD) n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de donner son avis sur le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) dont les membres seront connus à l’issue des élections le 4 septembre prochain. Dans un entretien accordée au quotidien Jour-J, M. Etia invite à ne pas « politiser » cette institution qui vient booster la politique de décentralisation au Sénégal. Il a, par ailleurs, fait la genèse de la structure qu’il dirige depuis sa création en 2013 avant de revenir sur les rapports entre le 2CD et les pouvoirs publics.

C’est quoi le 2CD? Quel est le rapport qui vous lie avec le gouvernement du Sénégal?

2CD, c’est l’acronyme de Cercle des Communicants en Décentralisation. Une association qui regroupe des journalistes, juristes et économistes favorables à la territorialisation des politiques publique. Elle est représentée dans les différentes régions du Sénégal par des points focaux et ses activités ciblent de manière spécifique les 45 départements du Sénégal.

La création de 2CD remonte à septembre 2013, date à laquelle, des professionnelles de l’information, experts en communication et autres acteurs des media, dans la perspective de contribuer au renforcement de la politique de décentralisation et de l’émergence du Sénégal ont jugé nécessaire de mettre en place un cadre d’échange et de partage sur des thématiques liées au développement territorial et à la décentralisation. A l’époque, on avait constaté une grave manipulation dont les journalistes faisaient l’objet sur l’acte 3 de la décentralisation. A travers les plateaux de télévision, radio ; dans les journaux les politiques racontaient du n’importe quoi. Une désinformation totale. Et le journaliste, au cœur de ce débat, ne comprenaient pas grand-chose sur le sens de la réforme. C’est ainsi que cette structure a été mise en place pour permettre d’abord orienter les journalistes et leur permettre de jouer pleinement leur rôle.

Au fil du temps la structure s’est agrandie. Des spécialistes en droit et économie ont rejoint le groupe. Vu la grande ambition de l’organisation, 2CD, tout en restant fidèle à sa mission, a réorienté ses objectifs vers des actions durables de lutte contre les mécanismes de reproduction de la pauvreté. Pour ce faire, il travaille à valoriser les initiatives communautaires, à promouvoir la participation de toutes les familles d’acteurs locaux à la définition, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques, dont celles de développement local. Aussi, dans sa démarche inclusive et incitative, 2CD favorise l’accès des couches vulnérables aux services sociaux de base et instances de décisions locales tout en suscitant l’autonomie politique, économique et sociale des communautés.

Nos rapports avec le gouvernement sont simples. Nous on veut aider les communautés et professionnels des media à accéder aux informations relatives à la territorialisation des politiques publiques et favoriser une participation citoyenne. Rien d’autre. Nous ne sommes ni agents de l’Etat ni agence de communication du gouvernement. Quand il (le gouvernement) nous interpelle sur des questions on donne notre avis. Mais donne également notre positionnement sur des questions relatives à la décentralisation et au développement territorial en toute indépendance. Après tout nous sommes des citoyens qui veulent contribuer au développement de leur pays.

Depuis le lancement de l’Acte 3, la structure que vous dirigez accompagne la réforme sur la décentralisation. Aujourd’hui, à mi-parcours, peut-on parler de bilan?

Il est quand même trop tôt de parler de bilan. On ne peut pas évaluer un projet qui n’est pas encore arrivé à terme. On peut, cependant, passer au peigne fin la première phase pour essayer de voir ce qui a marché ou ce qui n’a pas marché. On peut ici parler d’évaluation. C’est ce qui permettra d’ailleurs une meilleure applicabilité de la deuxième phase. Il faut dans un premier temps regretter qu’il n’y a pas eu un travail scientifique qui a été fait. Une étude approfondie n’a pas été faite avant la communalisation intégrale. De manière automatique toutes les communautés rurales ont été bombardées « commune » sans même voir si elles sont viables ou pas, alors que la vision du Chef de l’Etat c’est de construire des territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable. Cela risque de poser problème si l’on voit que certaines communes sont loin d’être viables. Une commune qui, à part les fonds de dotation, ne dispose d’aucune autre source de revenu ne peut pas porter le développement de son territoire. C’est impossible. Le problème fondamental dans cette première phase de la réforme c’est l’absence de ressource. C’est vrai, l’Etat a augmenté les fonds alloués aux collectivités locales.

Mais ça ne veut rien dire face aux lourdes charges de ces collectivités locales. A cela s’ajoute le problème de ressources humaines qualifiées. Par conséquent les communes sans ressources financières et ressources humaines compétentes vont bien sur disparaître si l’Etat ne fait rien parce qu’elles ne sont pas viables. Et tout cela est la conséquence de la précipitation dans la mise en œuvre de la réforme et une certaine absence de volonté politique dans la mise en œuvre de la politique de décentralisation de manière générale. Les collectivités locales ne peuvent dépendre uniquement de la fiscalité locale ou des fonds de dotations pour répondre aux besoins croissants d’une population grandissante. Des sources innovantes de financement doivent être trouvées ainsi que de nouvelles approches sur la taxation et les revenus locaux. L’une des principales causes de l’instabilité locale réside en effet dans les difficultés éprouvées par les municipalités à accéder aux ressources financières nécessaires, à les mobiliser et les gérer, ce qui va souvent de pair avec l’absence de planification ou de données disponibles lors de prises de décisions affectant les coûts présents et futurs des services locaux. C’est anormal que l’Etat transfert des compétences et ne donnent pas aux collectivités locales les possibilités d’accéder à certains financement. Pour me résumer cette première phase de la réforme constitue la phase des problèmes. Espérons que ces problèmes trouvent leurs solutions dans la deuxième phase sinon ce sera catastrophique.

A quelques semaines de l’élection des membres du Hcct, comment appréciez-vous la création d’une telle institution?

Je trouve qu’en 2016, inadmissible qu’on veuille faire réussir une politique de décentralisation au Sénégal sans cette institution. Malheureusement, c’est le scénario de 2013 qui se reproduit quand le chef de l’Etat lançait l’acte 3. Tout le monde parle de cette institution et personne ne dit l’essentiel. Ce regrettable de constater qu’au Sénégal tout est politisé. A quelques jours du scrutin aucun parti, aucune organisation ne fait une analyse profonde sur le Hcct. On assiste à un débat politicien sans aucun sens. Ceux qui sont avec le pouvoir applaudissent sans raison, du côté de l’opposition également on décrie sans argument. Je rappelle que le Sénégal a été le laboratoire de la décentralisation. Depuis 1872, des actes sont posés. Mais ça tarde à décoller parce que il n’y a pas une réelle volonté politique. Ce qu’il faudrait quand même éviter avec cette institution c’est d’avoir une assemblée nationale bis.

Cette institution ne doit pas être politisée. Elle a tous son sens et un grand rôle à jouer pour appuyer les collectivités locales. Et c’est la suite logique de l’acte 3 de la décentralisation. Cependant le président de la République devra faire le bon choix par rapport aux personnes qu’il va nommer. Beaucoup d’experts sénégalais en décentralisation sont dans la sous-région, dans d’autres pays pour appuyer leur politique de décentralisation. C’est le moment pour lui faire appel à cette intelligentsia pour qu’elle apporte sa touche sur ce qui est en train d’être fait. On parle tout le temps d’émergence alors qu’on ne peut atteindre l’émergence sans développement à la base.

Est-ce que les moyens suivent pour permettre au 2CD de pouvoir mener à bien sa mission d’accompagner la politique de l’Etat? 

Malheureusement non. Ceux sont les membres de l’association qui se cotisent avec peut être l’appui de certains partenaires alors que cette organisation est d’utilité publique. Ce qu’on fait c’est pour tout le Sénégal. Ce qu’on fait c’est pour tous les journalistes et acteurs territoriaux dans la mesure où nos actions ciblent l’ensemble des départements du Sénégal. Ça se comprend aussi parce que les autorités n’appuient que ceux qui font la queue devant leur ministère ou ceux qui passent tout leur temps à chanter leurs louanges. Nous ne le ferons jamais. Et d’aucuns ne veulent même pas qu’on rencontre le Chef de l’Etat. Mais ce qui est important pour nous c’est d’être sur le terrain et de continuer notre mission.

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