[Enquête] Aux origines de Keur Massar : « Bankhass », l’ancien lieu de transit devenu une grande ville
L’actuel chef-lieu de département Keur Massar était à l’origine un lieu de transit pour les Lébous de Rufisque et des autres villageois qui voulaient se rendre à Dakar. « Bankhass », comme ils l’appelaient, s’est transformé en un grand département appelé Keur Massar.
Mi-journée de samedi à Keur Massar. Comme à pareille heure, la circulation est dense sur la route principale qui traverse la localité. Les véhicules sont bondés. Seulement ce train-train ne semble guère déranger ou même préoccuper un groupe d’individus assis non loin de la grande mosquée près de l’arrêt bus Dakar Dem Dikk. Sur cette grande surface ensablée, l’assemblée prête une grande attention à un homme qui prend des notes et donne de temps à autre des instructions. Vêtu d’un grand boubou, la tête couverte par un bonnet rouge, Matar Diop Aldo est le Jaraf de Keur Massar.
Dans ce village lébou, le Jaraf est à la fois un titre honorifique et le détenteur de plusieurs secrets (mystiques parfois) de la localité. « Tous ces vieux que vous voyez ici font partie du comité d’action pour la rénovation de Keur Massar », renseigne le responsable lébou. Les membres de ce comité sont issus de plusieurs familles du village de Keur Massar. Ils se nomment Ndiaye, Diop, Sylla, Sarr, Sy, Diouf, Bâ ou encore Kâ.
En général, la plupart d’entre eux sont issus des premières familles à s’être installées dans la localité. Mais le Jaraf préfère vite rectifier, soutenant qu’à l’origine l’emplacement actuel du village était connu sous le nom de « Bankhass ». « C’était une sorte d’aire de repos et de détente par où transitaient les Lébous venant de Rufisque ou des autres localités avant de rejoindre Dakar », explique Mbagn Diop, une des personnes qui semble être la plus âgée de l’assistance. Par la suite, plusieurs familles sont venues s’installer dans le village, notamment les Diouf, Diop et surtout la première d’entre elles, la famille Ndiaye, avec leur ancêtre Abdou Ndiaye. « Que ce soit Abdou Ndiaye ou Malick Diop, nous avons tous leur jugement d’hérédité authentique prouvant qu’ils étaient les premiers à s’installer à Keur Massar », soutient Jaraf Matar Diop Aldo, ajoutant que le village lébou existe depuis 125 ans.
Aujourd’hui, la famille Ndiaye détient le titre de chef de village depuis plusieurs générations. L’entente cordiale qui a toujours existé entre ces différentes familles a poussé, en 1958, les vieux du village à sécuriser leur périmètre d’habitation qui leur sera accordé par l’administration coloniale sur un terrain de plus de 648 hectares, composant les collectivités de Keur Massar et de Niaye Diorane. « La délimitation et le bornage du site leur seront accordés le 12 août 1958 moyennant la somme de 550 000 FCfa à l’époque », signale une autre personne de l’assemblée.
À l’heure actuelle, Keur Massar connaît un développement fulgurant dont l’évolution surprend même les populations d’origine. Plusieurs nouvelles cités sont venues se greffer au village originel, notamment les quartiers El Hadji Pathé, Aïnoumady, etc. « L’évolution est rapide et foudroyante. Moi-même qui ai fait une trentaine d’années ici, je suis surpris en entrant dans certaines localités de Keur Massar », renseigne Mouhamadou Lamine Kane. Ce dernier ajoute aussi que ce boom démographique n’a pas été accompagné par un développement des infrastructures de base telles que les écoles, les centres et postes de santé, sans compter les marchés ou aires de jeu.
L’érection de la localité en département demeure une opportunité, selon les populations, pour développer la localité. « Nous sommes d’accord à 100% pour que Keur Massar soit le chef-lieu du nouveau département et nous soutenons l’idée depuis fort longtemps, parce que nous souffrons de nombreux maux à l’heure actuelle », soutient Jaraf Matar Diop Aldo. La seule erreur notée, selon lui, c’est l’érection d’Aïnoumadi en arrondissement, au détriment d’El Hadji Pathé. « Ce dernier quartier a été le premier à nous rejoindre ici, donc ce serait une bonne chose de l’ériger en arrondissement », signale le dignitaire lébou.
Et le colporteur Massar Dièye donna son nom à la localité
Mais comment le nom de la localité est passé de « Bankhass » à Keur Massar ? Sur cette question, beaucoup d’entre eux semblent hésiter avant que le vieux Mbagn Diop ne prenne la parole pour dire que Massar Dièye était le neveu d’Abdou Ndiaye. Selon Mouhamadou Lamine Kane, délégué de quartier de Fass, Massar Dièye était un colporteur de métier. Et chaque jour, il sillonnait la localité pour vendre ses produits aux populations. Son activité le rendit célèbre dans la contrée où il s’établit définitivement. « Mais quand l’épidémie de peste s’est déclarée, il fallait faire des recensements dans la localité. Lorsque l’administration est arrivée, elle a demandé le nom de la localité et les gens lui ont indiqué le domicile de Massar. C’est ainsi que le nom Keur Massar a été retenu par l’administration », renseigne Mbagn Diop. Pour les membres du comité, beaucoup de personnes continuent à parler de Keur Massar sans maîtriser son histoire et son évolution.
Immersion dans le grand bazar d’un célèbre rond-point
C’est l’un des endroits les plus fréquentés de la banlieue dakaroise. Le rond-point Keur Massar est ce haut lieu de commerce et de fréquentations unique en son genre. Aujourd’hui, avec l’érection de Keur Massar en département, l’État tente de donner un nouveau visage à cette localité en y construisant notamment un autopont et une nouvelle gare routière.
« Parcelles ! Parcelles ! Guédiawaye ! Case ba ! ». Le mégaphone qui ronronne continuellement, est programmé pour indiquer la voie aux clients qui veulent se rendre à ces différentes destinations. Car ici, vendeurs, passants et voitures se croisent sans cesse, occasionnant un brouhaha infernal. C’est la mi-journée au rond-point Keur Massar. Comme chaque jour, chacun vaque à ses occupations. Mais, à cause des travaux de l’autopont, la localité peine à contenir tout ce beau monde. Ça klaxonne, ça hèle et les disputes sont monnaie courante. « Le rond-point est un grand bazar où chacun fait ce qu’il veut, sans être inquiété. C’est un endroit unique au Sénégal et il reçoit un flux important de personnes venant de plusieurs localités », renseigne Abdou Diop dit « Ndiol », vendeur de masque installé juste à la station d’essence. Habitué des lieux, ce jeune père de famille ne s’inquiète pas trop de voir autant de monde fréquenter cet endroit. « Je suis là depuis trois ans maintenant, mais je dois dire que Keur Massar est le lieu de convergence de plusieurs travailleurs et vendeurs », souligne Ndiol.
En effet, comme lui, ils sont pour la plupart des jeunes gens qui vendent toutes sortes de produits allant des cartes de crédit aux bijoux en passant par la friperie et les fruits. Ici, c’est un vendeur de thé à la menthe qui se signale, là un jeune cireur regarde vos semelles et vous invite à vous asseoir sur un tabouret pour leur donner un coup de brillant. Dans cet endroit, chacun prend ses quartiers comme bon lui semble.
Originaire de Médina Sabakh, dans la région de Kaolack, Modou Cissé vend des vêtements pour homme, notamment de « jeans ». La trentaine, vêtu d’un tee-shirt blanc immaculé, le jeune homme s’est installé au rond-point Keur Massar depuis six ans déjà. « À l’époque, il n’y avait pas autant de vendeurs ici mais, au fil des années, tout s’est développé de manière rapide », sourit le bonhomme nous indiquant l’endroit où ils étaient, lui et ses camarades. Aujourd’hui, la plupart des jeunes vendeurs ont envahi le trottoir à cause de la forte concurrence entre eux. Mais pour Seydina Oumar Dramé, vendeur de café Touba, Keur Massar reste un endroit propice pour les jeunes. Avec ses dreadlocks noués dans un grand bonnet noir, il est installé non loin de l’arrêt bus 53 et est souvent assisté par son épouse. « Je m’en sors bien dans la vente de café Touba. Parce qu’ici, il y a beaucoup de passants, mais le matin aussi, les travailleurs et les élèves s’arrêtent pour siroter leur café avant de vaquer à leurs occupations », soutient Seydina Oumar. En dehors de ces commerçants, des jeunes s’activent dans la vente de portables et de cartes de crédit. Installés dans le « market », ils font de la vente et de la réparation des portables leur gagne-pain. Mamadou Sow s’active dans le milieu avec ses amis depuis plusieurs de trois ans. « Avant, j’étais à Diamaguène, mais quand j’ai commencé à fréquenter Keur Massar, j’ai vite fait de m’installer ici et les affaires marchent bien aujourd’hui », confie le jeune homme. Seulement, chaque jour, de nouveaux jeunes fréquentent les lieux en espérant trouver, pour de bon, une bonne affaire.
Une nouvelle gare routière
Les chauffeurs aussi ont fait de Keur Massar une bonne destination à la faveur de la clientèle. Venant des quartiers périphériques comme Tivaouane Peulh, Niacoulrab, Niague ou encore Jaxaay, Malika ou Yeumbeul, ces conducteurs font vite le plein une fois arrivés au rond-point. Sans compter les bus « Aftu » qui disposent de plusieurs lignes reliant Keur Massar à une quinzaine voire une vingtaine de destinations. Gora Khouma, le président de l’Union des routiers du Sénégal (Urs), estime que la demande est aujourd’hui supérieure à l’offre à Keur Massar. Car, selon lui, tous les taxis « clandos » et les minibus y sont tolérés afin de pouvoir aider les clients à se déplacer. Quant à la gare routière de Keur Massar qui jouxte la forêt de Mbao, elle peine à contenir tous ces cars « Ndiaga Ndiaye ». Chaque jour, 200 à 300 départs sont enregistrés, tandis que les lundis ce nombre peut atteindre les 500 départs à l’intérieur de Dakar. « Seulement, l’espace où nous sommes est réduit pour les chauffeurs, mais nous avons appris que le Gouvernement compte construire une nouvelle gare routière à Keur Massar ; ce qui est une bonne nouvelle pour nous », signale Gora Khouma, qui ajoute que la gare routière de Keur Massar est la plus importante dans la banlieue dakaroise. En attendant cette nouvelle gare routière, le rond-point Keur Massar continue de vivre un quotidien tumultueux où chacun tente de se faire une place au soleil.
Le département en chiffres
Né de la volonté du Chef de l’État, Macky Sall, de corriger les incohérences territoriales et de rapprocher les services de l’État des citoyens, le nouveau département de Keur Massar dispose d’une superficie de 52,88 km2 et est composé de six communes ; notamment les communes de Yeumbeul-nord, de Yeumbeul-sud, de Malika, d’Aïnoumady, de Jaxaay-Parcelles assainies et de la commune de Keur Massar en tant que chef-lieu de département. Selon les projections, la population de ce 46ème département du pays est estimée à 678 766 habitants, compte non tenu des localités de Niacoulrab et de Médina Thioub qui vont rester dans le département de Rufisque. Cette population est répartie en trois arrondissements : Yeumbeul qui englobe les communes de Yeumbeul-nord et de Yeumbeul-sud, Malika qui est composé des communes de Keur Massar et de Malika et enfin Jaxaay qui englobe Jaxaay-Parcelles et la nouvelle commune d’Aïnoumady. Seulement, il y a un grand déséquilibre entre ces différents arrondissements en termes d’infrastructures scolaires, sanitaires, sportives et socioculturelles. Par exemple, si l’arrondissement de Malika et celui de Yeumbeul comptent respectivement 644 et 627 infrastructures scolaires, Jaxaay ne dispose que de 117. Ce constat est le même pour les infrastructures sanitaires avec notamment 20 établissements pour Malika, 23 pour Yeumbeul et cinq pour Jaxaay. Idem pour les infrastructures sportives et socioculturelles avec neuf pour Jaxaay tandis que les arrondissements de Malika et de Yeumbeul dispose chacun de 24. En définitive, l’arrondissement de Jaxaay reste peu doté en infrastructures. Un déséquilibre à corriger au plus vite.
Le Soleil
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