Casamance : Les femmes se rebellent contre la pauvreté

Casamance : Les femmes se rebellent contre la pauvreté

Les femmes investissent de plus en plus les filières économiques rentables dans le sud du Sénégal, profitant de l’accalmie consécutive à une longue période d’insécurité dans la région.
A leur manière, les femmes casamançaises participent à la reconstitution du tissu économique de leur région, sans compter qu’elles contribuent par ce biais aux efforts pour briser les chaînes de la pauvreté.
Elles ne lésinent pas sur les moyens, pour participer à la relance d’une économie malmenée par une crise sécuritaire, dans cette région gorgée d’importantes ressources agricoles.
A Kabiline, un village de la région de Ziguinchor, situé à quelques kilomètres de la Gambie, les femmes mènent des activités de maraîchage, d’aviculture et de transformation de produits agricoles locaux, en vue de leur autonomisation.
A la sortie du village, au milieu d’une forêt dense, caractéristique de la verdoyante Casamance, considérée comme « le poumon économique du Sénégal », en raison de ses impressionnantes potentialités agricoles, les femmes de Kabiline ont aménagé un périmètre maraîcher qu’elles entretiennent avec un soin particulier. Une intense activité agricole rythme leur quotidien.
« Nous passons la journée en brousse. Dès la matinée, nous arrosons les parcelles composées de plusieurs variétés maraîchères », affirme la secrétaire générale du Groupement des femmes de Kabiline, Fanta Mari, qui peine à cacher sa fierté.
Des arrosoirs solidement empoignées des deux mains, des enfants dodelinant sur le dos de certaines d’entre elles, une dizaine de femmes arrosent les sillons de piment, de gombo, de carottes, choux, d’oignon, de tomates et tant d’autres variétés cultivées dans ce bloc.
Après une matinée d’intense labeur, les femmes du GIE de Kabiline regagnent le village où elles mènent des activités d’élevage dominées par l’aviculture, via une ferme comprenant plusieurs centaines de poussins.
Sur place, elles nettoient les mangeoires et les abreuvoirs, avant de les remplir.
« Cette ferme avicole est l’un des volets de notre GIE. Nous écoulons la marchandise dans notre village, dans les villages environnants aussi. C’est un plaisir de gagner de l’argent de la sorte et de satisfaire la demande en viande des villageois, qui en raffolent », s’enorgueillit Fanta Mari.

« NOUS NE MANGEONS QUE DES PRODUITS BIO »

Dépourvu de moyens de transport adéquats pour écouler leur production, le GIE de Kabiline se débrouille en mettant en place ce que ses membres considèrent comme « une stratégie commerciale interne ».
« Chaque membre de la structure doit acheter une partie de la production de poulets, le restant étant écoulé dans les autres villages par des femmes qui parcourent plusieurs kilomètres à pied », explique une femme vêtue d’une tenue de travail manifestement usée par les longues journées de labeur.
Comme tant d’autres villages de la Casamance, celui de Kabiline a subi les conséquences des affrontements entre l’armée sénégalaise et une rébellion née dans cette partie du pays en 1982.
A cause de ce conflit, ses habitants étaient de potentiels candidats à l’exode vers les centres urbains ou vers la Gambie voisine.
« Les initiatives agricoles féminines ont fixé les populations. Le village commence à renaître. Les femmes cultivent des produits bio. Nous ne mangeons que du bio », se réjouit Ibou Sékou Mané, un père de famille de Kabiline.
Les femmes de ce village suivent aussi des cours d’alphabétisation en leadership, gestion, genre et nutrition – en diola, la langue dominante.
« Nos journées sont très chargées. Si nous ne sommes pas dans les activités maraîchères ou celles de la transformation des produits, nous sommes à la ferme avicole ou en classe », explique Mme Mari.
A travers d’autres initiatives similaires en Casamance, d’autres femmes gagnent leur vie, comme à Mandina Mancagne, village du nord de Ziguinchor célèbre pour avoir été le théâtre d’affrontements sanglants entre l’armée et les combattants de la rébellion, en août 1997. Vingt-cinq soldats avaient péri. Mandina Mancagne s’est par la suite vidé de ses habitants gagnés par la panique.
Une impressionnante rangée de périmètres maraîchers se dresse désormais dans les environs de ce village, à la mesure de ses nombreuses potentialités agricoles -des filières diverses, une pluviométrie abondante, une terre fertile.
Les villageois de Mandina Mancagne font visiblement preuve d’une forte détermination pour vaincre la pauvreté, l’accalmie consécutive aux violences aidant.

« A MANDINA MANCAGNE, NOUS AVONS RETROUVÉ NOTRE DIGNITÉ »
Des femmes obligées, par le passé, de quitter leur village tentent de prendre leur revanche sur ce triste épisode. Elles viennent de Bissine, un village voisin rudement affecté par le conflit. A Mandina Mancagne, elles s’investissent dans la transformation des déchets en briquettes de charbon écologique, une activité qui leur ouvre les portes de la réinsertion sociale.
Réunies dans un vaste hangar, les ex-habitantes de Bissine, dont neuf sont en situation de handicap, transforment les feuilles d’arbres mortes et les noix de cocotier en briquettes de charbon.
Elles sont équipées d’une petite unité de transformation. Le charbon produit a l’avantage de se consumer sans gaz carbonique, au bonheur des usagers. Il est commercialisé à des centaines de kilomètres à la ronde.
« Nos stocks de charbon sont épuisés. Les commandes sont nombreuses. Nous transportons plusieurs sacs de charbon à Dakar. Nous n’arrivons plus à satisfaire la demande », renseigne Awa Sagna, la présidente du Collectif de ces femmes déplacées.
Mme Sagna, dont le défunt mari vivait de la coupe de bois, se réjouit de cette innovation. Une technologie permettant de produire ce combustible écologique sans détruire la flore. C’est dire que les femmes de Bissine tentent de dissimuler leur douloureux passé de déplacées dans l’exercice de cette nouvelle activité économique.
« Nous avons retrouvé notre dignité en gagnant notre vie. Nous étions très affectées par le conflit. Nous avons perdu des proches, des biens et des terres. Nous étions dans une situation d’extrême pauvreté et avions perdu tout espoir », se souvient Awa Sagna

Ces femmes tentent maintenant de convaincre les pouvoirs publics sur les enjeux économiques de leur nouvelle filière en vue d’inciter les investisseurs pour passer à l’industrialisation de leur activité. D’autres femmes des zones rurales s’activent en grand nombre dans la filière anacarde, dont la saison bat son plein en Casamance.

« LES FEMMES ONT PRIS EN MAIN LES FOYERS »

Dans le village de Baconoum, par exemple, les femmes passent des journées entières à ramasser des pommes d’acajou. Sous le soleil, elles trient les noix avant de les transporter au magasin de séchage.
« La noix d’acajou, c’est notre pain quotidien. Nous prenons nous-mêmes en charge la scolarité et les soins de santé de nos enfants. Même après la saison, nous continuons à vivre de nos revenus », se réjouit Elise Diatta, la présidente du GIE de femmes de Baconoum.
Dans de nombreux villages casamançais regagnés par les ex-déplacés, la filière anacarde procure d’importants revenus aux femmes, qui « prennent maintenant en main les foyers », constate Alphonse Diatta.
Les dépenses familiales sont de plus en plus assurées par la gent féminine, reconnaît cet homme dévoué à cette révolution du pouvoir d’achat, aidant son épouse à ranger les noix d’acajou dans des sacs.
A Barafe, un village voisin de Baconoum, Noëlle Niouky incarne la réussite féminine. Cette quinquagénaire exploitant un champ hérité de ses parents, incarne dans ce patelin la réussite sociale que procure la filière anacarde.
Noëlle Niouky se rend chaque matin dans son champ à l’aide d’une charrette tirée par un âne. Elle emploie plusieurs femmes, qui ramassent les noix d’acajou.
Sur la route, des hommes s’affairent autour d’une unité de transformation artisanale de la pomme de cajou devant laquelle se dresse une longue file d’attente.
« Nous avons une grande clientèle. Nous exploitons d’autres filières à l’intérieur de ce champ », dit-elle, ajoutant avoir investi dans la riziculture.
Noëlle Niouky et les siens avaient quitté leur village à cause des heurts entre l’armée et la rébellion. Revigorée par le retour progressif au calme et l’installation d’une base militaire dans la zone, elle décide d’exploiter les terres abandonnées par ses parents.
« C’était difficile, mais j’y ai cru. Aujourd’hui, j’emploie plusieurs personnes. Avec la patience, j’y suis arrivée. Il m’arrive de délaisser mon âne pour prendre l’avion, à destination d’autres pays, pour des salons internationaux, en attendant de pouvoir me lancer dans l’industrie », dit Noëlle Niouky, pleine d’ambitions.

MTN/APS

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