Boubacar SEYE (HSF) : la migration est devenue un élément essentiel de la géopolitique mondiale
La Covid-19 a eu des conséquences dévastatrices dans quasiment tous les pays du monde et aucun secteur de l’économie n’a été épargné. La migration n’a pas été en reste. Dans cet entretien, le Président d’Horizon Sans Frontière, Boubacar Seye analyse l’impact de la Covid-19 sur le plan économique et social dans les politiques migratoires dans le monde et au Sénégal, en particulier. Selon le militant de la cause migratoire, le débat sur la migration doit être recadré dans un contexte mondial de mobilité constante des populations. A l’en croire, il faut faire avancer la réflexion sur ce qui devrait être la prise en charge des flux migratoires dans un monde mondialisé. Car selon M. Seye, la migration est devenue un élément essentiel de la géopolitique mondiale. C’est pourquoi, il invite les Etats africains à harmoniser leur politique migratoire pour une libre circulation des personnes et des biens pour un développement durable du continent.
Selon vous, quel a été l’impact de la Covid-19 sur les politiques migratoires dans le monde en général et au Sénégal en particulier ?
J’ai eu à alerter sur le fait que l’ère post coronavirus allait enregistrer beaucoup de difficultés liées à la migration du fait de la récession économique. C’est à dire les difficultés que les Etats ont eu pour refaire leur santé économique. Vous conviendrez avec moi que la théorie de remplacement est de mise dans certains pays d’accueil. On parle d’invasion alors que ce n’est pas le cas. On parle même de subversion alors que la migration devrait être un facteur de recomposition, un facteur d’équilibre social et économique comme l’a toujours démontré Adam Smith.
Mais avec les problèmes liés à la récession économique, malheureusement la migration cesse d’être un complément qui entraine une dilatation de l’économie et de la société. On parle de la théorie de remplacement.
Effectivement la guerre en Ukraine le démontre à suffisance aujourd’hui. Avec cette guerre, on parle de 10 à 15 millions d’ukrainiens qui ont fui l’Ukraine et ces gens sont en train d’être accueillis dans pratiquement tous les pays de l’Union européenne alors que ce n’était pas le cas avec les réfugiés africains parce que tout simplement pour certains dirigeants européens qui ont eu à échouer. Je rappelle qu’avec la chute du mur de Berlin, il y a eu la disparition des idéologies et comme la nature a horreur du vide, il y a eu l’émergence des questions identitaires. La migration est devenue aujourd’hui le contraire des identités.
Pour ces dirigeants, l’Europe est blanche et judéo-chrétienne. Le problème maintenant c’est à ce niveau surtout avec la Covid-19 et tous ces problèmes dans un contexte mondial de mobilité croissante. En fait, aujourd’hui, on parle de mondialisation des flux migratoires. Il a même été démontré que ce ne sont plus les plus pauvres qui migrent. Tous les pays du monde se trouvent concerner soit par le départ, le transit ou l’accueil de ces personnes au profil de plus en plus diversifié. Parmi ces personnes on y trouve des hommes, des femmes et des enfants, personnes vulnérables. Et c’est là où nous interpellons l’opinion internationale pour que l’Europe puisse faire une remise en cause dans la gestion de ces flux migratoires. C’est vrai que l’Afrique est une terre de mobilité avec plus de 20 millions de migrants à travers le monde mais le solde migratoire est vers Europe. Toutefois, le mode de gestion est exclusivement réservé à l’Europe qui dicte ses lois.
Ces frontières sont devenues des lieux de souffrances voire des cimetières au lieu d’être des lieux de partage et de communication.
Cela est dû au fait que l’Europe n’a pas de répondant. L’Europe s’organise mais l’Afrique ne s’organise pas. Aujourd’hui un pays comme le Sénégal qui assure la présidence de l’Union Africaine aurait dû assurer ce leadership du fait que le Sénégal est un pays à tradition migratoire ancienne. Malheureusement, il n’a jamais eu de politique migratoire. La migration est devenue un élément essentiel de la géopolitique mondiale
Quel a été l’impact de la Covid- 19 sur les Sénégalais vivant en Europe ?
Sur le plan économique, les foyers d’immigration sont les plus touchés. On a parlé tantôt des problèmes de récession économique, des problèmes de croissance dans certains pays. Le taux de chômage dans un pays comme la France, la baisse de la croissance et un taux de chômage très élevé dans un pays comme l’Espagne dont l’économie est basée sur la restauration et le tourisme. Avec la Covid et la fermeture des frontières pratiquement toutes les entreprises dans le domaine de la restauration et la construction sont tombées et dans ces entreprises-là les 60% du personnel étaient des immigrés. Et cela a été ressenti dans les transferts de fonds. La Banque mondiale avait parlé d’une réduction de 20% des transferts vers l’Afrique. Même si on ne peut pas parler de valeur absolue car il y a le côté informel. Mais ce qui est sûr, les foyers d’immigration souffrent de la récession économique. La plupart souffre de ce qu’on appelle l’échec des politiques d’intégration structurelle qui veut dire l’ouverture dans le marché du travail. C’est ce qui explique aujourd’hui la théorie de remplacement.
Je disais tout à l’heure que la migration a cessé d’être un complément entrainant une dilatation de l’économie et de la société. C’est pourquoi dans ces pays on pense qu’il faut ramener les immigrés africains chez eux parce qu’ils n’ont pas assez pour vivre. C’est cette politique qui est de mise dans beaucoup de pays d’Europe comme la France, l’Italie et l’Espagne. Il n’y a que l’Allemagne qui n’a pas eu ce problème. Parce qu’il avait un besoin d’ordre conjoncturel et structurel. C’est ce que Angela Merkel avait compris en 2016 en ouvrant ces portes aux immigrés. D’ailleurs même, on lui a reproché d’exposer toute l’Europe.
Quelle appréciation faites-vous des initiatives prises par l’Etat pour venir en aide aux Sénégalais de l’extérieur pour pouvoir faire face aux effets de la pandémie ?
Sur le principe, j’étais pour, même s’il y avait une polémique autour de la question des fonds envoyés aux sénégalais de la diaspora. Moi, je préfère dire que je n’en avais pas besoin que de dire que nous en avons pas besoin parce qu’il y a des gens qui attendaient ces fonds. Seulement, on n’a pas consulté les gens pour éviter les problèmes. Je pense qu’il fallait encadrer cet argent afin qu’il puisse parvenir aux ayants droit. On a tous entendu toute la polémique qu’il y a eu autour de la gestion de ces fonds. Il y a des gens qui continuent de réclamer l’audit des fonds Covid- 19. J’ai reçu des e-mails de Bruxelles, d’Italie où pratiquement les gens se sont partagés l’argent comme pas possible. Je pense qu’il faudra évaluer tout cela. Malheureusement dans notre pays, nous n’avons pas la culture de l’évaluation.
Quelles leçons doit-on tirer de tout cela ?
Je crois qu’aujourd’hui, il faudra relancer le débat sur une meilleure gestion de ces flux migratoires qui malheureusement continuent de dévoiler des problématiques de paix, de sécurité, d’intégrité et de dignité humaine. C’est la raison pour laquelle, Horizon Sans Frontière travaille depuis plus de quinze ans sur le triptyque migration, paix et sécurité. Cette nouvelle stratégie met en évidence les évolutions de l’environnement. Le contexte géopolitique actuel met en lumière les dangers multiformes qui menacent à la fois les Etats, les nations et les peuples. Il faut recadrer le débat dans un contexte mondial de mobilité constante des populations.
On nous parle d’un milliard de personnes qui chaque année franchissent les frontières.
On parle de mondialisation. Et aujourd’hui, il faut faire avancer la réflexion sur ce qui devrait être la prise en charge des flux migratoires dans un monde mondialisé. C’est là où il faut recadrer le débat. C’est à ce niveau que le Sénégal devrait assurer le leadership en posant le débat à l’international. Il faudra aussi, l’adoption de nouvelles lois pour protéger les plus faibles et les plus vulnérables. J’ai parlé tout à l’heure de la migration comme facteur d’équilibre social et économique et comme facteur de recomposition des sphères d’influence. Il faudra aujourd’hui revoir ces lois parce qu’elles sont devenues caduques. Il faudrait recontextualiser. Nous parlons de la mobilité. Notre plaidoyer c’est qu’il faut des reformes sur la Convention de Genève de 1951 et des reformes sur le droit d’asile. Parce qu’aujourd’hui la mobilité est réduite pour des raisons sécuritaires. Il faut lutter contre ce qu’on appelle le paradoxe libéral qui signifie que tout ce qui est bon économiquement est jugé dangereux pour des raisons sécuritaires. C’est là où il y a un problème. C’est pourquoi il faut des reformes surtout sur la Convention de Genève de 1951. Il faut une protection pour les personnes qui fuient la pauvreté et c’est le cas du migrant sénégalais qui n’est pas prévu par la Convention de Genève de 1951. Ce migrant sénégalais fuit la pauvreté chronique, classique, le chômage endémique et les tares de la mauvaise gouvernance qui malheureusement obstrue les perspectives d’épanouissement des couches les plus vulnérables. C’est pourquoi, un pays comme le Sénégal devrait rapidement diligenter une conférence internationale sur la gestion de ces flux migratoires. Malheureusement, il n’y a pas de politique migratoire au Sénégal. Et la migration est un élément essentiel de la géopolitique mondiale. La Covid l’a montré de même que la guerre en Ukraine. Cela devrait nous pousser à une prise de conscience. Combien de sénégalais pour ne pas dire d’Africains sont morts en Méditerranéen en 2021. On parle 4.000 morts. Ce chiffre devrait nous pousser à une prise de conscience. Quand la jeunesse qui constitue une richesse devient un fardeau pour ces dirigeants africains, il y a problème. Je crois que c’est l’heure des nouvelles perspectives panafricaines, c’est l’heure de la relecture des perspectives, c’est l’heure d’une révolution socio-culturelle et épistémologique pour que la jeunesse sache que leur avenir c’est ici. Sinon nous allons vers le chaos. Il faudrait dans les perspectives de solutions rétablir l’espoir à cette jeunesse. Malheureusement, les Etats africains ne parlent pas le même langage. La migration est pour la plupart une soupape de sureté pour résoudre leur morosité économique alors qu’on devait pouvoir harmoniser les positions. Donc il faudra aujourd’hui cette convergence fiscale, cette architecture de paix et de sécurité pour une libre circulation des personnes et des biens pour un développement durable en Afrique malheureusement tel n’est pas le cas. Mais notre pays devrait pouvoir prendre ce leadership-là vu qu’aujourd’hui, c’est le Sénégal qui assure la présidence de l’Union Africaine.
Cet article a été réalisé avec le soutien de Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication », financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS).
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