Baghère : Sur les pas de la famille Aïdara en Casamance

Baghère : Sur les pas de la famille Aïdara en Casamance

La création de certaines villes religieuses ne résulte pas du hasard. Cela relève parfois du mystique. Ainsi, beaucoup de foyers religieux ont été fondés par des hommes de Dieu qui ont suivi une lumière divine. Baghère ne déroge pas à cette règle. Ce haut lieu de l’islam a été créé par l’érudit Chérif Younouss Aïdara.

En ce mois pluvieux d’août, la cité religieuse semble se reposer ou du moins profiter de la forte pluie qui s’y est abattue la veille de notre arrivée. Baghère fait partie de l’arrondissement de Simbandi Brassou, département de Goudomp, région de Sédhiou. C’est à la fois une commune et un ardent foyer religieux. Distante de Goudomp d’une soixantaine de kilomètres, Baghère, à première vue, donne l’impression d’un gros village. Malgré son statut de foyer religieux, le port du voile n’est point imposé aux femmes, mais elles restent pudiques dans le port. Connu par sa position agricole, Baghère développe également un élevage visible à travers ses bergeries.

Le jour de notre visite, le soleil tardait à imposer ses rayons, résultat de la pluie de la veille, rendant le temps clément. À la devanture des concessions, des jeunes sont occupés à la traditionnelle séance du thé pendant que d’autres se prélassent à l’ombre des arbres qui peuplent la cité. La localité donne l’impression d’être assoupie. Le calme s’impose et propice à la réflexion ou à la méditation. À quelques mètres de la route principale, la mythique mosquée de l’érudit Chérif Younouss Aïdara déploie sa splendeur et attire le regard. Sobriété et éclat. Le saint homme, fondateur de la cité religieuse, y repose, donnant à l’édifice son statut de lieu de prière et de pèlerinage.

La grande mosquée de Ziguinchor fondée par le fils de Chérif Younouss Aïdara de Goudomp

Terre musulmane, l’activité religieuse y est intense depuis plus d’une cinquantaine d’années. L’un des premiers foyers à accueillir un Gamou dans la partie sud du pays. À l’intérieur de sa demeure, confortablement assis sur un fauteuil, le maître des lieux, Makhfouse Aïdara, discute avec quelques-uns de ses voisins. Il est le représentant du Khalife de la famille de Chérif Younouss Aïdara, fondateur de Baghère. Dans son récit sur la vie et l’œuvre du grand érudit fondateur de cette ville sainte, on retient que le village de Baghère a été fondé vers les années 1905. « Chérif Younouss Aïdara a créé le village pour y implanter et propager l’islam dans la zone. Auparavant, il y avait trop de païens et d’animistes. Sa mission était donc d’élargir l’islam dans cette partie sud du pays non islamisée », renseigne le porte-parole de la famille chérifienne. Il rapporte que la grande mosquée de Ziguinchor est la continuité de celle de Baghère. « Chérif Younouss avait confié ses enfants à la famille religieuse de Tivaoune dont l’un d’eux, Chérif Bachir Aïdara, a fondé la grande mosquée de Ziguinchor. C’est ce dernier qui a commencé à tenir les Gamous dans toute la Casamance dans les années 1930-1931. C’est le même qui venait à Baghère également pour organiser le Gamou. Baghère est le premier village en Casamance à célébrer le Gamou », a-t-il informé.

L’histoire de Baghère est fortement liée à son fondateur, Chérif Younouss Aïdara. Un érudit qui a fait presque tous les pays de la sous-région. « L’objectif de Chérif Younouss était de faire perpétuer la religion musulmane. Il a sillonné les villages de Bambadiong et Sandiniéry avant de s’installer à Baghère. Vu la position de Baghère, il a choisi cette contrée pour y exercer normalement ses activités commerciales », a conté Makhfouse Aïdara. Selon qui, à l’époque, le saint homme, de nature pacifique, collaborait bien avec les colons. Il négociait, peut-on dire, avec ces derniers jusqu’à obtenir ce qu’il voulait. « Ce sont ces colons qui lui ont permis de créer le village de Baghère. Un de ses enfants, Chérif Macky Aïdara, a été incorporé dans l’Armée coloniale. Sa relation avec les colons était privilégiée. Chérif a montré à sa population que la présence des colons n’était pas pour leur créer des problèmes ou leur rendre la vie difficile », a-t-il expliqué. Chérif Younouss s’était ainsi bien implanté en Casamance où il avait partout des disciples. Son fils Chérif Bachir Aïdara fut le premier à diriger la prière de la grande mosquée de Ziguinchor. « C’est Senghor qui avait octroyé cette parcelle à la famille Aïdara. C’est un titre foncier. Donc, la grande mosquée de Ziguinchor est un patrimoine de la famille de Chérif Younouss Aïdara », renseigne le représentant de la famille chérifienne à Baghère.

Chérif Younouss perpétuait l’expansion de l’islam, l’enseignement coranique et le commerce. Il était également mystique. Grâce à son érudition et des multiples miracles qu’il réalisait, Baghère eut une certaine aura et le foyer est devenu un lieu de pèlerinage fort fréquenté par des disciples venus de divers horizons. « Lorsque le roi du Fouladou, Moussa Molo Baldé, voulut conquérir cette région, il est venu le voir pour des prières. Après sa victoire, Moussa Molo Baldé, satisfait, a donné sa fille en mariage à Chérif Younouss. La cadette du Chérif, Diénaba Aïdara, est issue de ce mariage. Donc, c’est la petite-fille de Moussa Molo », raconte le représentant de la famille, tout en insistant sur les qualités humaines du saint homme et de son incommensurable savoir.

L’érudit Chérif Younouss avait des hommes de confiance. En quittant Sandiniéry pour fonder Baghère, plusieurs habitants de ce village l’ont suivi. Moustapha Kouyaté, fils d’Abdou Kouyaté et petit-fils de Dialy Moussa Kouyaté, un ami intime et compagnon de Chérif Younouss Aïdara, raconte le périple du saint homme. « Chérif Younouss est originaire de Tchad dans la région de Wadaye. Il est le fils d’Abdoul Wahab, originaire du Soudan. Son père Abdoul Wahab était venu s’installer au Tchad pour l’islamisation de la zone (le Sahel). C’est au Tchad qu’est né Chérif Younouss », a expliqué M. Kouyaté, habitant de Baghère.

L’histoire renseigne également que Chérif Younouss aurait quitté son pays à la recherche de son père qui avait « disparu » et n’est plus revenu. À un certain âge, il a demandé à sa mère qu’il allait à sa recherche. C’est ce qui l’a conduit à faire le périple jusqu’au Sénégal. Il a fait beaucoup de localités au Sénégal avant de fonder Baghère. Il a ainsi séjourné dans le Walo, le Baol, la Basse Casamance, le Blouf, etc. Ces pérégrinations à l’intérieur du pays font qu’il a des disciples un peu partout dans le pays et dans le monde. En vérité, explique M. Kouyaté, certains disent qu’il ne cherchait pas proprement son père, mais la ville religieuse de Baghère qu’il voyait en rêve. À partir du Tchad qu’il a quitté à la recherche de son père, à un certain moment, Dieu lui aurait confié une mission pour venir s’installer à Baghère. Il voyait la ville en rêve à côté d’un bras de fleuve. Et toutes les localités où il a séjourné sont près d’un fleuve. Dans ses rêves, il se rendait compte que ce n’est pas ces villes sa destination, mais Baghère. À Sandiniéry, il a été accompagné par beaucoup de familles dont des griots, des forgerons, des érudits, des cordonniers et des bûcherons. Savant d’une dimension exceptionnelle, le saint homme s’est voulu rassembleur et toujours à la quête du savoir. « Chérif Younouss Aïdara et Maodo Malick Sy se sont connus par le « baatine » sans se rencontrer. L’homme de Baghère a su qu’Elhadj Maodo Malick Sy est un érudit d’une dimension incommensurable bien qu’il fut plus âgé que le Saint de Tivaoune. Sachant qu’il allait mourir avant Malick Sy, il a confié à ce dernier l’éducation de sa descendance. C’est ainsi que la plupart des enfants de Chérif Younouss ont étudié à Tivaoune. Les deux hommes respectaient et s’estimaient beaucoup puisque Elhadj Malick Sy reconnaît l’érudition de Chérif Younouss », a-t-il révélé.

M. Kouyaté renseigne que Younouss faisait partie des miracles de Dieu sur terre et c’est Malick qui l’aurait écrit dans un de ses ouvrages. En Arabe, il aurait dit « Younouss Aïdara ayatoummine ayatil la ». M. Kouyaté estime qu’on ne peut énumérer tous les miracles accomplis par cet homme de Dieu. « Il a accompli beaucoup de miracles. Ce n’est pas facile dans le milieu mandingue que les gens reconnaissent la grandeur d’une personne. Ce fut aussi le grand handicap de Chérif Younouss qui n’était pas aussi noir de teint que les érudits du Pakao. Il était métis. Il est arrivé à Baghère en 1911 et serait rappelé à Dieu en 1917 », raconte celui qui fait office de disciple et de griot.

Village occupé par les « djinns », ces êtres surnaturels ont été chassés de Baghère par le guide religieux. « Mon père me racontait que le jour où les djinns quittaient, il y avait des cris partout. Baghère était en effervescence. Personne n’arrivait à dormir. Mais lorsqu’on sortait de sa chambre, on ne voyait que du noir dehors, tout était calme. Mais dès qu’on rentrait dans la chambre, on entendait les cris. En ce moment, Younouss était en guerre avec les djinns Xarfir », raconte notre interlocuteur, qui renseigne que Chérif Younouss avait aussi parmi ses compagnons la famille Dianté. En quittant Sandiniéry, les frères Boubacar Dianté et Aliou Dianté l’ont suivi et son devenus ses disciples. Ce sont ces derniers qui avaient en charge le « daara », perpétuant ainsi l’islam dans le village.

PETIT MÉTIER, GROS PROFIT 

CHEIKH SЀYE, HERBORISTE

Les plantes valent de l’or

Cheikh Sèye est herboriste. Âgé seulement de 40 ans, on lui en donnerait facilement 60. Avec son crâne entièrement rasé, sa longue barbe blanche et son ample caftan, il a tout l’air d’un patriarche. Dans la zone de Médina Fall, où il tient son « officine » avec quantité de feuilles, d’écorces et de poudres essentielles dans l’arsenal de la phytothérapie sénégalaise, ce sont le « mbantamaare » (cassia occidentalis) et le « ngeer » (guiera senegalensis) qui font actuellement l’objet d’une forte demande, procurant à l’homme des revenus substantiels.  

Le Soleil

Share this content: