Assainissement, sécurité, surpeuplement… : Darou Rahmane, le mal loti de Rufisque
Au quartier Darou Rahmane, dans la commune de Rufisque-nord, tout est priorité. Avec 35 000 âmes issues pour la plupart de l’exode rural et des migrations, cette localité est confrontée à des problèmes d’assainissement, de santé et d’insécurité.
Sur la route cahoteuse qui y mène, les véhicules ont du mal à se croiser dans les deux sens à cause de l’étroitesse des ruelles. De larges coulées d’eau lézardent le sol, tandis que devant les portes de certaines maisons des trous de 0,5 et 1 m de diamètre sont creusés pour servir de réceptacles des eaux usées domestiques. Bienvenue à Darou Rahmane, l’un des quartiers les plus peuplés de Rufisque avec 35 000 âmes. Ladite localité est située à l’extrémité nord de la commune de Rufisque-nord, entre le quartier Diorga Chérif et l’autoroute à péage
Véritable melting-pot, la naissance du quartier remonte aux années 80. Au début, la localité était une extension du quartier Diorga Chérif dont il dépendait administrativement. C’est à partir de 1987 qu’il a acquis son autonomie et a obtenu le statut de quartier sous le magistère de l’ancien maire de Rufisque, Me Mbaye Jacques Diop, qui y a installé le premier délégué de quartier, Abdoulaye Sarr, aujourd’hui disparu. Son successeur Abdoulaye Ngom nous explique que la création de ce quartier est la contrepartie d’une promesse d’un soutien à Mbaye Jacques Diop qui était alors en compétition avec Cora Fall pour la conquête de la mairie de Rufisque. « C’était la condition de notre soutien et, après son accession à la tête de la mairie, nous avons fait une délégation pour aller le rencontrer et lui rappeler sa promesse. C’est ainsi qu’il est venu installer notre premier délégué de quartier », rappelle le vieux Abdoulaye Ngom.
À la différence des anciens quartiers qui ont été créés par des Rufisquois de souche, les premiers occupants de Darou Rahmane sont issus de l’exode rural et des migrations internes. « Ce que nous avons remarqué, c’est que les premiers occupants ont été les Sérères et les Ndiago (Mandjacks). Parmi eux, le premier délégué de quartier feu Abdoulaye Sarr et l’actuel Abdoulaye Ngom. Il y a aussi les familles Mendy et Gomis qui sont parmi les premiers arrivants », explique El hadji Cantara Sarr, habitant depuis plusieurs années et membre de plusieurs associations qui défendent les intérêts du quartier.
Pour la majorité, ces populations étaient des marchands, des personnels subalternes dans certains services, des conducteurs de calèches, jusqu’alors principal moyen de transport dans le périmètre de la ville. Il était rare de voir des Rufisquois quitter les quartiers traditionnels pour venir ici. « Au début, il y avait peu de monde ici, parce que les maisons actuelles étaient des champs. Nous sommes arrivés ici en 1991, mais personne ne voulait venir ici, c’était une sorte de brousse, de no man’s land. Certains acquéraient des parcelles, mais ne les construisaient pas. C’est après ces premières installations qu’il y a eu une seconde vague avec des Rufisquois de souche qui quittaient des quartiers traditionnels pour venir ici à Darou Rahmane », renseigne ce responsable.
Un quartier non loti
L’origine de ce peuplement explique le problème majeur que connaît ce quartier. Darou Rahman est peuplé d’habitats spontanés. Ce qui fait que la localité est confrontée aux problèmes connexes, notamment l’assainissement et l’éclairage. Pourtant, selon M. Sarr, des initiatives avaient été annoncées sous le magistère de l’ancien maire de Rufisque, Mbaye Jacques Diop, pour tout refaire dans le quartier, mais les concernés s’y sont opposés pensant qu’il s’agissait d’un déguerpissement qui ne disait pas son nom. « Le premier problème du quartier, c’est qu’il n’est pas bien loti. On le regrette beaucoup. Feu Mbaye Jacques Diop avait un projet de revoir le lotissement du quartier, mais il y avait des gens qui étaient déjà installés et avaient commencé à construire leurs maisons. Il voulait tout raser et reprendre le lotissement ce qui a soulevé des frictions entre nous et l’équipe municipale, vers la fin des années « 90 ».
D’ailleurs, l’absence de lotissement n’est pas le seul problème à Darou Rahmane. Sauf qu’elle pourrait expliquer tous les autres que connaissent les habitants. Selon un des jeunes responsables du quartier, les problèmes sont nombreux et leur résolution dépasse les capacités d’une commune. Les solutions sont attendues du pouvoir central. « Il y a une pléthore de difficultés dans le quartier où nous vivons, un quartier où il y a plus de 35.000 habitants selon les dernières statistiques de l’Ansd (Agence nationale de la statistique et de la démographie) et qui manque de toutes les infrastructures. Ici, on voit que les eaux usées sont déversées sur la voie publique. Ce quartier manque aussi de sécurité. Pendant l’hivernage, les véhicules y accèdent difficilement ; les voitures de transport et les « clandos » refusent de venir dans la localité. Ce qui veut dire que c’est un quartier enclavé », soutient Jean Pierre Mendy, vice-président de l’Asc du quartier (Deggo) et membre du comité exécutif du conseil de quartier de Darou Rahmane.
Des routes impraticables
Darou Rahmane, c’est aussi un déficit d’infrastructures socioéconomiques de base. « Or, c’est l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand quartier de Rufisque. À l’heure actuelle, il englobe trois autres quartiers dont chacun a la taille d’un quartier normal de Rufisque », nous rappelle Cantara Sarr. Il déplore le fait que le quartier ne dispose d’aucune infrastructure, encore moins de routes. Les deux voies d’accès qui existent sont impraticables lors de la saison des pluies. Ce qui traduit, selon M. Sarr, un déficit d’assainissement. Parce que « si le quartier était assaini, après la pluie, les eaux pourraient être drainées et les populations allaient se déplacer normalement. Malheureusement ce n’est pas le cas », regrette notre interlocuteur.
La sécurité, la santé, l’éducation : d’autres défis
Concernant la sécurité, le quartier n’est pas mieux loti. Malgré sa taille, il ne dispose pas de poste de police, ce qui fait que les cas d’agressions et de vols y sont multiples. « Récemment, pendant le ramadan, deux maisons où l’on pratiquait l’élevage de poulet ont été visitées par les voleurs qui ont tout emporté, sans parler des agressions. Aujourd’hui, Darou Rahmane mérite d’avoir un poste de police », confie M. Sarr.
Des démarches étaient entreprises avec l’entregent de l’ancien Garde des sceaux, ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall. « Il nous restait juste à trouver un bâtiment pour le prendre en location, avec son appui et le ministère de l’Intérieur pourrait nous envoyer des éléments. Mais depuis qu’il a quitté le ministère, on est toujours dans l’attente », dit celui qui est présenté comme l’un des ardents défenseurs des intérêts du quartier.
Dans les domaines de la santé et de l’éducation également, le quartier n’a ni poste de santé, ni maternité. Il faut faire au moins 3 km pour trouver le poste de santé le plus proche à Diorga Chérif ou aller à l’hôpital Youssou Mbargane Diop de Rufisque.
La seule école publique est une école primaire. « Elle accueille plus de 1300 élèves », un membre l’association des parents d’élèves du quartier, ajoute qu’il n’y aucune école secondaire dans ce quartier de 35 000 âmes.
Selon Cantara Sarr, la sécurité et la santé sont essentielles pour tout habitat. « Elles sont les priorités dans ce quartier. D’ailleurs les normes le disent, un quartier qui abrite 6.000 personnes doit avoir un poste de santé, alors qu’ici on est 36.000. On a même des problèmes pour cerner notre quartier qui est un melting-pot ».
Malgré tout, l’espoir demeure pour Eh Hadj Cantara Sarr et ses amis. « La commune de Rufisque-nord a eu un financement pour la construction d’un poste de santé, le matériel est déjà sur place, le terrain est trouvé. On espère que dans les mois à venir, on aura un poste de santé dans les limites du quartier. Ensuite, sur le plan sécuritaire, on garde toujours espoir pour disposer du poste de police », soutient M. Sarr.
En attendant, Darou Rahmane attend toujours la « clémence » des autorités pour sortir de sa situation peu enviable à l’heure actuelle.
ASSAINISSEMENT : 23 km de réseau d’eaux usées, 2500 branchements sociaux prévus
L’assainissement de Darou Rahmane tient à cœur l’État du Sénégal. Tous les habitants se rappellent de la visite mémorable de Mansour Faye, alors ministre en charge de l’Assainissement, dans le quartier. L’actuel maire de Saint-Louis avait annoncé un projet d’assainissement pour un coût de 6.250.000.000 FCfa. Il consiste à la réalisation d’un réseau d’eaux usées de 23 km, de 2500 branchements sociaux à l’égout et la construction d’une station de pompage d’eaux usées. « Nous portions beaucoup d’espoir sur ce projet pour pouvoir apporter un minimum de changement, parce que Darou Rahmane est assis sur une bombe démographique. Nous attendons beaucoup de ce projet, car nos problèmes dépassent les capacités d’une municipalité », souligne Jean Pierre Mendy.
Le Soleil
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