Aménagement et attractivité : le territoire comme point d’articulation ou d’ancrage

Aménagement et attractivité : le territoire comme point d’articulation ou d’ancrage

Évoquer l’Aménagement du Territoire, requiert de toujours une démarche par nature pluridisciplinaire. Du géographe, à l’économiste en passant par le sociologue, l’urbaniste, le juriste, le politologue ou encore l’architecte, chacun en ce qui le concerne apporte sa part de savoir ou de vérité à un sujet aussi complexe qu’est l’Aménagement du Territoire. D’ailleurs, Il n’existe pas une et seule définition à l’Aménagement du Territoire. Aucune recette miracle adaptable partout n’existe. Le bon aménagement est celui qui cherche à répondre aux enjeux et attentes du moment sans compromettre l’avenir. Il n’est rien d’autre qu’une politique, disons volontariste de l’État. En effet, celui-ci en fonction de ses priorités, de ses objectifs, de sa vision, organise ou aménage le territoire. À l’image du territoire sur lequel reposent toutes les activités ou interventions, l’Aménagement du Territoire se veut transversal et se trouve ainsi aux antipodes du sectoriel. Le territoire ne se renouvelle pas ou se renouvelle peu ou prou au moment où la population ainsi que ses besoins évoluent à un rythme exponentiel. Il faudrait donc le gérer et cela de la manière la plus rationnelle, pour nous et pour les générations futures. Au juste de quoi s’agit-il ? En termes de genèse, le concept de l’Aménagement du Territoire est une pratique aussi vieille que les premières formes d’organisation sociale. En effet, depuis que les premiers hommes ont commencé à se fixer ou à se sédentariser sur un espace défini comme étant le lieu de leur reproduction et de leur espace de production, des problèmes d’organisation de cet espace se sont posés à eux. A travers le temps, des formes de réponses plus ou moins heureuses ont été trouvées face à ces problèmes. A l’origine, tant que le rapport Populations/Espace permettait au groupe de se reproduire sans contraintes majeures, l’équilibre était sauvegardé. C’est dommage qu’aujourd’hui, nous constatons à une rupture progressive de cet équilibre avec comme causes principales :
•La croissance très rapide de la population qui a pour conséquences une réduction des espaces cultivables notamment liée à l’agrandissement des grandes agglomérations ;
• d’accentuation de calamités telles que : désertification, désertisation, déforestation…qui diminue aussi le disponible utile en espace ;
•Le changement climatique qui perturbe le cadre de vie et toutes les commodités qui le structurent ;
•Les immenses progrès réalisés au niveau scientifique et technologique réduisant ainsi de plus en plus le disponible utile en espace : épuisement progressif des gisements de charbon, de pétrole, de gaz…, conduira à des processus énergétiques nouveaux, eux-mêmes générateurs d’industries nouvelles dans les implantations nouvelles.

C’est d’ailleurs, à partir du développement de la science et de la technologie surtout au lendemain de la deuxième guerre mondiale que l’Aménagement du Territoire en tant que discipline ou science socio-économique s’est affirmée. Comment s’est-il affirmé en tant que science sociale ? C’est en se plaçant dans une dynamique évolutive ou comme disait le Père Lebret : « En se plaçant dans une dynamique perspective, d’une société, qui vit, se transforme, se développe et avance vers l’optimum ». Ainsi sans vouloir prétendre définir le concept d’Aménagement du Territoire, nous allons plutôt essayer de circonscrire son contenu actuel en ces termes : « En tant que science sociale, il se préoccupe d’assurer un développement équilibré des régions d’un pays, de lutter contre les tendances à la concentration géographique des activités mais aussi contre toutes formes d’exploitation irrationnelle du Territoire ». La politique d’Aménagement du Territoire implique alors un objectif de progrès cohérent et harmonieux sur les plans techniques, économiques et humains. Elle implique aussi une mise en valeur rationnelle de l’espace et l’utilisation optimale des ressources naturelles. C’est dire donc que la vocation de l’aménagement du territoire est d’organiser l’espace territorial du pays pour assurer sa cohésion, son attractivité et sa compétitivité. Ainsi toute politique d’Aménagement du Territoire a besoin à la fois de durée pour infléchir sur les dynamiques territoriales, d’opérationnalité et de proximité pour coller à l’action territoriale et de prospective pour anticiper sur les évolutions à venir. L’attractivité territoriale qu’est-ce que c’est ? Elle est aussi complexe à définir car les chercheurs et praticiens l’appréhendent différemment. En effet, les spécificités des territoires en termes de taille, de ressources, de volonté expliquent entre-autres ce constat. L’attractivité territoriale est aussi multidimensionnelle. Dans une dynamique de positionner les territoires en activant les offres territoriales, les décideurs des territoires utilisent plusieurs stratégies telles que la mise en place de politiques incitatives et/ou dissuasives, mais aussi par de mécanismes et outils de contrôle de l’utilisation du sol. De l’aménagement de zones spécifiques telles que les pôles d’excellence, de compétitivité, les parcs, à l’animation d’outils issus du mix-marketing, aux politiques tarifaires, les acteurs territoriaux activent des leviers d’attractivité. Le but est à trouver dans la recherche de plus-value afin de se démarquer de la concurrence et de créer un avantage comparatif. Comprendre ce volet dans le contexte sénégalais nous amène à prendre comme exemple les réalisations de l’Etat pour accroître la métropolisation de Dakar d’une part et de l’autre la promotion de pôles territoires pour porter le développement endogène. Le pôle urbain de Diamniadio, le nouvel Aéroport International Blaise Diagne de Diass (AIBD), les autoroutes telles qu’Ila Touba, AIBD-Mbour, Mbour-Fatick-Kaolack, l’autoroute côtière du nord ou du littoral nord qui va relier Dakar à Saint-Louis, le Train Express Régional (TER) ou encore le Bus Rapid Transit (BRT) constituent de grandes avancées dans le désenclavement des territoires pour une meilleure amélioration de la mobilité intra et inter territoriale. Le nouveau code minier ainsi que l’aménagement de zones ou parcs industriels à l’image des pépinières ou incubateurs pour les entreprises accompagnent aussi cette volonté de l’Etat de mettre en avant la compétitivité du pays. Les réformes dans les domaines de la création d’entreprise en améliorant le climat des affaires, de la promotion de la bonne gouvernance permettent également de se corréler aux critères d’évaluation des territoires au niveau international (Doing Business, Ernest et Young, MO Ibrahim…). Par ces quelques remarques, nous relevons que le territoire devient ainsi, un fort enjeu pour les politiques qui le mettent désormais au centre des stratégies d’attractivité pour le développement économique des territoires dans un monde « glocalisé » comme disait Jean Pierre Charre. La mondialisation de l’économie, le développement fulgurant des TIC ont généré une concurrence hautement ardue des territoires. La croissance observée dans le domaine du tourisme mais aussi le redécollage des investissements directs étrangers (IDE), la multipolarité des flux d’échange dans le monde…prouvent que nous avons des territoires plus attractifs que les autres.

Aujourd’hui, les territoires ont changé de paradigme en devenant plus facteurs que réceptacles de la production. Les choix de localisation des entreprises ainsi que celui des touristes, des étudiants ou encore des porteurs de projets obéissent à des logiques précises que les décideurs des territoires sont appelés à décortiquer. L’implantation d’entreprises sur un territoire est accompagnée de plusieurs retombées allant aux emplois générés, aux taxes perçues à l’image reflétée ou envoyée à la concurrence interne comme externe. Les décideurs des territoires doivent donc se poser quelques questions : quelle attractivité à mettre en place ? Et pour quel type de territoire ? Dans quel but ? Quels sont les acteurs impliqués ? Comment ces acteurs perçoivent-ils cette attractivité ? Voilà pourquoi, Wided Batat disait que l’attractivité territoriale est à la fois plurielle et évolutive. Elle est plurielle car elle peut être économique, sociale, culturelle, touristique, etc. Elle est évolutive car il y’a le jeu des échelles, du local, du territoire vers le global. Sur le plan des formes ou catégories également nous pouvons identifier deux types : une attractivité économique qui concerne les entreprises et les investisseurs à chercher, à installer, à accompagner et à maintenir sur le territoire et une attractivité présentielle ou résidentielle chère à Bernard Pecqueur. Celle-ci est l’apanage des personnes physiques résidentes telles que les individus (étudiants, touristes…) et groupes d’individus à l’image des familles et les acteurs des organisations tels que les entreprises, les associations, les institutions, les administrations…Par les types d’attractivité relevés, nous voyons qu’au-delà des aspects économiques et sociaux, le cadre de vie y occupe une place centrale. Cela montre encore une fois de plus, tous les efforts que nous devons effectuer pour mettre à niveau nos collectivités territoriales et par effet levier, tout le pays. Quel est le lien entre l’aménagement du territoire et l’attractivité ? Nous pouvons dire et cela de manière toute simple, le développement territorial. En poussant la réflexion, nous allons constater que tout un cheminement est à considérer pour rejoindre le souhait voulu à savoir le développement durable de nos territoires. L’Aménagement du Territoire est régi par un ensemble de principes qui sont tous de près ou de loin en lien avec l’attractivité territoriale. Toutefois, le principe de la création nous semble un peu plus indiqué que les autres. En effet, par la création on met en valeur un territoire d’une part et de l’autre on relève un privilège observé à l’endroit de ce territoire comparé aux autres. En fonction du type d’attractivité ciblé, les décideurs peaufinent plusieurs méthodes telles que la méthode SCP (Segmentation, Ciblage et Positionnement) pour atteindre les objectifs fixés. Tous les territoires ne peuvent pas avoir les mêmes vocations d’où la nécessité de recourir à l’Aménagement du Territoire pour identifier les singularités et complémentarités d’une part et de l’autre, les opportunités de développement à mettre en relief ce qui amène là aussi, le développement territorial. Dans notre pays en tenant compte des exemples précités dans les lignes plus haut, on constate que la vision qui les transcende est l’attractivité et de surcroît le développement ou encore l’émergence pour épouser la vision du PSE. En renforçant, la carte universitaire, sanitaire, scolaire, l’Etat met en relief des territoires potentiels pour polariser et porter le développement endogène. Cette volonté doit être le résultat qui provient de l’étude faite par les services de l’Aménagement du Territoire dans le but d’éliminer les concentrations excessives comme notées aujourd’hui à Dakar. En effet, le paradoxe observé est que la capitale sénégalaise subit le développement au lieu de le contrôler. Bref tous les projets de territoire doivent donc provenir d’un diagnostic sans complaisance effectué en amont par les services de l’Aménagement du Territoire. C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il faudrait comprendre toute la pertinence de l’élaboration du Plan national d’Aménagement et de Développement territorial (PNADT) qui va fixer les grandes orientations de développement spatial pour les années à venir. Un outil d’aide à la décision donc, qui va sédimenter le développement souhaité, voulu et accepté par tous. Aujourd’hui, avec les découvertes de ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz, le Sénégal va rentrer dans le cercle restreint des pays dotés de réelles potentialités de développement. Le Président de la République, Macky Sall aménageur convaincu, a pris des initiatives dans ce sens et cela depuis son élection en 2012. Les conseils de ministres délocalisés, l’acte III de la décentralisation, la place qu’occupent les territoires dans le Plan Sénégal Emergent (PSE), l’élaboration du Plan national d’Aménagement et de Développement territorial (PNADT), la création d’institutions centrales telles que le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) ou encore la Commission Nationale du Dialogue des Territoires (CNDT), l’organisation périodique de conférences territoriales dans les régions à l’image des conférences d’harmonisation, l’exonération de taxes en faveur de certains secteurs comme le tourisme, la construction de ponts comme celui sur le Saloum qui relie Foundiougne à Ndakhonga, sur la Gambie sans oublier d’autres infrastructures telles que les ports (Foundiougne-Ndakhonga, Bargny, Ndayane…), la mutation des collectivités locales en collectivités territoriales, le PUMA, le PROMOVILLE, le PUDC, l’organisation de la présente conférence sur l’aménagement et l’attractivité qui est la première du genre dans l’histoire du Sénégal pour ne citer que cela, renforcent sa volonté non seulement de territorialiser les politiques publiques mais aussi la correction des déséquilibres afin d’installer à jamais nos territoires sur les rampes de l’émergence. Il devient donc urgent de repositionner la structure en charge de l’Aménagement du Territoire afin qu’elle joue davantage le rôle d’aide à la décision de l’Etat et du gouvernement sur l’action territoriale. Tous les pays développés disposent de services forts en charge de l’aménagement du territoire car la planification économique et sociale ne peut pas suivre toute seule sa destinée sans celle spatiale qui doit la guider dans les méandres du développement durable.

Daouda Thiandoum Aménageur, urbaniste et géomarketeur
Chef du Service Régional de l’Aménagement du Territoire de Dakar
daouda.thiandoum@anat.sn

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