Ibrahima M. Touré : « Beaucoup de Maires, surtout les nouveaux, ne connaissent pas la règlementation des Finances territoriales… »

Ibrahima M. Touré : « Beaucoup de Maires, surtout les nouveaux, ne connaissent pas la règlementation des Finances territoriales… »

Dans un entretien accordé à l’équipe de Dakaractu Mbour, l’ancien receveur de Dakar devenu conseiller technique du Directeur général de la Comptabilité, est revenu sur les enjeux, difficultés et avancées dans les finances des collectivités territoriales. Sur ce même tempo, Ibrahima Moulaye Touré a tenté de décortiquer l’acte 3 lui-même.
Pour des solutions durables, l’inspecteur principal du Trésor a mis en place un livre pour venir en aide aux acteurs …

Parlez nous de votre livre sur les finances ?

J’ai coécrit cet ouvrage avec Mor Fall. C’est la suite logique de l’ouvrage que nous avions sorti sur les finances publiques. 

Vous parlez de finances territoriales. Que voulez-vous dire réellement ? 

Quand on aborde les questions des finances de l’État, c’est aussi les finances des autres organes publics. En primo, nous avions préféré parler tout d’abord des finances de l’État pour les premières productions. Nous avons ensuite décidé de parler des finances des collectivités territoriales.  Nous nous sommes rendu compte qu’il y a un besoin à ce niveau, de faire connaître les finances des collectivités territoriales. Beaucoup de maires, surtout les nouveaux, ne connaissent pas la réglementation. C’est une manière d’apporter notre contribution à la maitrise des règles qui gouvernent la gestion de ces finances locales.

Quel est l’impact de l’acte 3 par rapport aux finances ?

Pour parler de l’acte 3, il faut comprendre qu’il y a l’acte 1 et l’acte 2. D’après les autorités locales, l’acte 1 se sont les réformes de 1972 qui ont créé les communautés rurales, l’acte 2, c’est la régionalisation et le transfert de 9 domaines de compétences, les réformes de 1996. L’acte 3 qui a été voté en 2013 se caractérise par la suppression des régions en tant que collectivités territoriales par la communalisation intégrale. Les communautés rurales sont devenues des communes de plein exercice. Les arrondissements sont aussi devenus des communes de plein exercice. La nouveauté, le département est devenu une nouvelle collectivité territoriale. Ce sont les nouveautés constatées dans l’acte 3 de la décentralisation. L’ambition de l’acte 3, c’est la territorialisation des politiques publiques, l’équité territoriale. Des aspects importants de notre économie. On peut reconnaître qu’aujourd’hui, il y a des progrès importants. En faisant la départementalisation, les élus sont encore plus proches des populations, que les politiques de l’État arrivent plus facilement et directement aux populations. 

Toutefois, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de difficultés relatives aux financements de ces collectivités territoriales. L’erreur qu’on avait au niveau de la régionalisation est reconduite au niveau de la départementalisation. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de ressources propres et de fiscalité propre aux départements. Du coup, les départements fonctionnent essentiellement sur la base des transferts qui sont faits par l’État. Or ces transferts sont relativement insuffisants. De ce point de vue, il faut reconnaître qu’il y a des avancées mais aussi des choses à améliorer. 

Que faudrait-il faire pour qu’il ait l’équité territoriale ?

Reconnaissons qu’il y a eu des efforts qui sont faits. Il y a une réforme importante intervenue en 2018, c’est la transformation de la patente en contribution économique locale. Et quand on a créé la contribution économique locale qui a remplacé la patente, je pense que ça a été une bonne trouvaille. 

La contribution économique locale a deux composantes : une composante valeur locative et une composante valeur ajoutée. Cette dernière composante a pour ambition de corriger cette équité territoriale. C’est-à-dire une collectivité qui n’a rien du tout, du fait de la patente se retrouve avec au minimum 15 millions. Cette somme permet de prendre en charge beaucoup de choses. J’ai été percepteur à Mbour, Rufisque, Dakar. C’est une manière de contribuer à l’équité territoriale. Maintenant, on ne peut pas faire que toutes les collectivités soient au même pied. Ça se comprend aisément lorsque que vous savez la contribution économique locale, sa composante valeur locative, ça tient compte des entreprises qui paient les impôts. Si vous n’avez pas ces entreprises dans vos localités, c’est évident que vos ressources ne puissent pas augmenter. Mais au moins, il y a une volonté de réduire cette inégalité. 

Quelles sont les questions abordées dans le livre en relation avec ce que vous venez de dire ?

Dans la première partie nous avons parlé de déconcentration, de décentralisation, rappelé un peu la politique de décentralisation. En seconde partie, nous avons parlé de la gestion financière et comptable des collectivités territoriales.

C’es en parlant d’abord comment le budget des collectivités territoriale est élaboré. Les débats d’orientation budgétaire, le vote du budget en passant par son approbation jusqu’à son exécution. Toutes les procédures d’exécution en recettes et en dépenses ont été expliquées dans cet ouvrage. Également le contrôle budgétaire avant son exécution et nous avons terminé par la comptabilité des opérations de ces collectivités territoriales. Une comptabilité qui permet à l’ordonnateur de produire son compte administrateur et pour le comptable de produire son compte de gestion.  

Quels sont les réels problèmes de collectivités à corriger dans l’immédiat ?

Il y a beaucoup de problèmes. L’acte 3 a pêché sur le financement des collectivités. Il n’y a pas de proposition dans la diversification des taxes. Nous avons les recettes minières, l’autoroute à péage et les collectivités devraient au moins avoir des recettes. Mais surtout les transferts qui sont faits de l’État aux collectivités territoriales. Tout le monde reconnaît qu’ils sont faibles, malgré l’augmentation annuelle du montant depuis 2012. Ces transferts sont indexés sur la valeur ajoutée. Le taux d’indexation n’a pas connu une hausse. On avait pensé aller progressivement jusqu’à 15%, mais on est toujours à 5.5%. D’ailleurs, si vous faites le cumul des montants que l’État transfert vers ces collectivités territoriales, c’est moins de 10% du budget de l’État. Les collectivités n’ont pas assez de moyens par rapport aux compétences qui leur sont transférées. Alors qu’on dit transfert de compétences et transferts concomitant de moyens. C’est bien écrit dans les textes,  mais dans la réalité ça pose problème. Il s’y ajoute le manque de fiscalité propre aux départements. Il y a des propositions pour la création de fiscalité locale dans les départements, mais ce n’est pas encore effectif. Si nous voulons réussir cette décentralisation, voilà les questions auxquelles il faut apporter des solutions. Le Chef de l’État reconnait les difficultés de cet acte 3. Mais aussi le volume à augmenter. C’est toujours insuffisant par rapport aux ambitions du président dans sa politique de territorialisation des politiques publiques. Cela veut dire que les acteurs doivent se l’approprier. Mais il faudrait qu’ils aient les moyens de son exécution. Et pour cela, il faut augmenter la part allouée aux collectivités territoriales. 

Mais également dans l’ouvrage, nous avons fait des propositions. L’amélioration de la contexture du budget qui pose beaucoup de problème. Elle ne milite pas en faveur de l’amélioration de l’investissement des collectivités. Le mécanisme du mouvement financier n’est pas très connu et devrait être revu..

Dakaractu

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