Présidentielle en Russie: chronique d’une réélection annoncée
Le 18 mars aura lieu en Russie une élection dont le résultat est quasiment joué d’avance. Candidat à sa propre réélection, Vladimir Poutine est assuré de l’emporter, faute d’adversaire à sa mesure. Sans enjeu, la campagne électorale s’est déroulée dans une quasi-indifférence de la population russe. Quant au président russe, il n’aura consacré qu’un minimum d’effort et de temps à la campagne électorale, méprisant ses adversaires et estimant inutile d’aller à la rencontre de ses électeurs.
Stade Loujniki de Moscou, 3 mars 2018. Plusieurs dizaines de milliers de personnes luttent contre le froid dans les gradins du plus grand stade de Russie, en attendant le discours de Vladimir Poutine. « Pour moi, c’est un moment très important¸ s’enthousiasme Artiom, 19 ans, cela fait tellement longtemps que j’espère le voir en chair et en os ! » Ce jeune moscovite est venu avec un drapeau russe qu’il empoigne fièrement, le regard tourné vers la tribune où défilent vedettes de la chanson ou du cinéma – parmi elles, l’inévitable Nikita Mikhalkov, indéfectible soutien du président russe. « Vladimir Poutine nous tire tous vers le haut, continue Artiom. Il nous rend fiers de nous et de notre pays. Grâce à lui, nous avons récupéré la Crimée et maintenant tout le monde comprend que nous sommes une grande puissance. »
Dans les tribunes, Anastasia attend elle aussi, avec impatience, le président russe. Cette jeune étudiante en économie, emmitouflée dans une épaisse doudoune beige, veut applaudir « l’homme qui a ramené la paix et la stabilité dans notre pays. » Née en 1999, Anastasia n’a pas connu les années sombres qui ont suivi l’effondrement de l’URSS, mais en a beaucoup entendu parler. « C’était terrible à cette époque, les gens pouvaient se faire tuer pour un morceau de chou, ou pour une carotte, et pouvaient tout perdre du jour au lendemain. Aujourd’hui, tout ça s’est terminé et c’est grâce à lui, à Vladimir Poutine ! »
Le héros du jour arrive enfin, et salue la foule depuis la scène. « Nous voulons que notre pays brille et soit tourné vers l’avenir, lance le président russe, micro à la main. Si nous faisons cela, la décennie à venir et tout le XXIe siècle seront marqués par nos victoires les plus brillantes. Ensemble, nous formons une équipe ! » Le discours, espéré depuis des heures, dure moins de trois minutes. Pas de programme, pas de promesses de campagne, Vladimir Poutine se contente du strict minimum. « Il n’a pas besoin de longs discours, explique Anastasia, car ses actes parlent pour lui. » Plusieurs dizaines de milliers de personnes, réunies dans le stade qui accueillera dans quelques mois la finale de la Coupe du monde, et un discours éclair : le président russe est tellement sûr de sa victoire qu’il n’éprouve qu’à peine le besoin de faire campagne.
Groudinine et Sobchak, les deux révélations de la campagne
Face à la non-campagne de Vladimir Poutine, les sept autres candidats à l’élection présidentielle s’efforcent tant bien que mal de sauver les apparences. Candidat surprise du Parti communiste, Pavel Groudinine est attaqué à boulets rouges par la presse pro-Kremlin, pour sa fortune personnelle et les comptes bancaires qu’il est accusé de détenir à l’étranger.
Malgré ces attaques à répétition, dénoncées comme une campagne « orchestrée par les autorités » par le Parti communiste, l’homme d’affaires à la moustache grisonnante peut compter sur une deuxième place lors du scrutin, avec 7 % des intentions de vote. De quoi sauver l’honneur, et permettre aux communistes russes de conserver leur statut de deuxième force politique du pays, juste devant le LDPR de l’inoxydable candidat nationaliste Vladimir Jirinovski (sixième participation à une campagne présidentielle).
« Le gouvernement reproche toujours à l’opposition de tout critiquer mais de ne rien proposer, argumente le candidat du Parti communiste russe. Nous, nous proposons le retour à la justice sociale, la fin de la pauvreté, et le respect de la constitution russe. » Outre Pavel Groudinine, une autre personnalité politique est sortie du lot durant cette drôle de campagne électorale : la journaliste Ksenia Sobchak, ancienne vedette de la télé-réalité, et porte-parole auto-proclamée d’une opposition désunie. Cheveux blonds, discours critique à l’encontre du Kremlin, présence médiatique « percutante » : Ksenia Sobchak exaspère une partie de la population russe, mais elle séduit la frange de l’électorat urbain qui ne veut plus de Vladimir Poutine et ne peut se résoudre à boycotter le vote. « Elle a beaucoup changé ces dernières années, explique à RFI Svetlana, une habitante de Moscou qui « envisage » de voter pour la candidate. J’espère qu’un jour elle deviendra une personnalité politique de premier plan. » Succès critique, mais les instituts de sondage restent inflexibles : la candidate « paillettes » de l’opposition plafonne à 1 % des intentions de vote.
Une stratégie qui divise l’opposition
Si Vladimir Poutine peut se permettre de limiter au strict minimum sa campagne électorale, c’est aussi en raison de l’absence, durant le scrutin, de son principal opposant. Alexei Navalny, l’avocat blogueur, pourfendeur de la corruption des élites, écarté de la course en raison de condamnations judiciaires qu’il estime « fabriquées de toutes pièces ». Pour lui et ses partisans, il ne reste donc qu’une seule attitude à tenir : boycotter un scrutin considéré comme une « farce électorale ». « Alexei Navalny est le seul homme politique russe qui aurait pu tenir tête à Vladimir Poutine, s’époumone Andreï, rencontré le 28 janvier à Moscou, lors d’une manifestation pour le boycott des élections. Sans lui, cette élection n’a aucun sens ! Boycotter, c’est le seul moyen de lui ôter la légitimité que veut le Kremlin. Les autres candidats ne sont que des marionnettes, des marionnettes qui sont là pour faire le jeu du président. »
La stratégie du boycott, faute de pouvoir exister autrement : le pari d’Alexei Navalny est d’autant plus risqué qu’il divise profondément le camp de l’opposition. Car cet appel au boycott n’est pas compris par les autres candidats anti-Poutine, qu’il s’agisse de Ksenia Sobchak, ou de Grigori Iavlinksi, le candidat du parti Labloko. « Bien sûr qu’il faut aller voter, c’est notre devoir de citoyen, s’énerve Elizaveta, étudiante en sciences politiques à l’université d’Etat Lomonossov de Moscou. Je ne sais pas encore pour qui je vais voter, sans doute pour le candidat de Labloko. Mais de toute façon, quel que soit le vote, il faut y aller. Ne pas voter, à mon avis, c’est favoriser la victoire de Poutine. »
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