Tunisie :Forum sur «L’attractivité territoriale» : Les villes attrayantes, un levier économique
Rendre les territoires plus attractifs est un défi majeur qui permet d’enrayer l’aggravation du déséquilibre régional. Etant un enjeu à la fois politique, économique et social, l’attractivité territoriale est au cœur même des revendications de la révolution, puisque, in fine, elle consacre le principe de la discrimination positive. Au moment où le pays ne cesse de perdre en attractivité, rendre les villes plus attrayantes et plus agréables à vivre est d’une actualité brûlante.
L’attractivité territoriale rend compte de la capacité d’un territoire à retenir et/ou attirer des entreprises, des investissements, de la main-d’œuvre et est intimement liée à sa possibilité d’offrir une qualité de vie satisfaisante pour les habitants, inciter une dynamique économique locale et créer des opportunités d’emploi et d’intégration sociale. Comment contribue-t-elle, effectivement, au développement local? Qui pilote les stratégies d’attractivité territoriale et comment parvient-on à la renforcer ? Comment développer des dynamiques économiques locales sur la base des atouts spécifiques d’un territoire tout en tenant compte des aspects de durabilité écologie et culture ? Dans l’optique de mener une réflexion autour de ces problématiques, l’organisation internationale «Cities alliances» a organisé, récemment à Sousse, un forum sur «L’attractivité territoriale comme levier du développement local inclusif et durable», et ce, en partenariat avec l’Instance d’accompagnement du processus décentralisé (Ipapd) et l’Association tunisienne des urbanistes (ATU). L’événement a été marqué par la présence d’experts en développement local, urbanistes et représentants de communes et de ministères qui ont débattu, lors des panels, des enjeux de l’attractivité territoriale et livré des témoignages sur les expériences de planification locale. Les diverses interventions se sont articulées autour des trois cibles-clés de l’attractivité territoriale, à savoir les habitants, les entreprises et le tourisme. Il était alors question d’identifier les facteurs et les attributs qui rendent les territoires attractifs et permettent de drainer les citoyens, les investisseurs et/ou les touristes.
C’est tout le pays qui perd en attractivité !
Yassine Turki, universitaire et expert à «Cilg-VNG International», a souligné, dans ce contexte, que le concept de l’attractivité des territoires et d’amélioration des conditions d’attractivité permettant de drainer les investisseurs et les ménages deviennent de plus en plus au centre des préoccupations. L’expert s’est, d’ailleurs, interrogé sur la capacité d’assurer cette attractivité à travers des instruments et des moyens adéquats dans un contexte où le pays continue de perdre les talents et les compétences. «A-t-on les instruments et les moyens d’assurer cette attractivité sachant qu’au cours des dernières années, on a perdu 35 mille ingénieurs. On ne peut pas chercher à attirer des investisseurs si on n’arrive pas à garder les forces vives du pays. Que dire alors des territoires les plus reculés», a-t-il noté. Il a ajouté, que malgré les efforts consentis en matière d’investissement public, notamment dans certaines régions de l’intérieur, le gap de développement entre les régions s’est aggravé.
Turki a fait savoir que la mise en concurrence des territoires est un concept à prendre avec des pincettes, dans la mesure où il peut contribuer à la marginalisation des territoires les plus compétitifs et les plus aptes à contribuer au développement. «L’enjeu consiste à trouver les bonnes politiques qui permettent de dynamiser les territoires les plus compétitifs pour qu’ils soient bien positionnés à l’échelle internationale, sans oublier l’impératif de l’équité territoriale, qui est le fondement du nouveau modèle post-révolution», a-t-il observé. Il a ajouté que le processus de réforme de la décentralisation n’a pas atteint à ce jour des résultats tangibles en matière de développement pour plusieurs raisons, principalement parce que les communes ne se sont pas investies dans leur rôle de développement et que l’architecture institutionnelle de la décentralisation n’est pas encore complétée.
Les acteurs locaux peuvent prendre l’initiative
Interrogée par La Presse sur le rôle que peut jouer l’attractivité territoriale dans l’impulsion du développement local, Mariem Oueslati Ameur, experte en marketing territorial et développement local et fondatrice de l’agence Attractive City, a souligné que l’attractivité locale est un levier et un champ d’action qui est censé être en aval d’une stratégie de développement du territoire. Pour l’experte, les stratégies d’attractivité ne peuvent pas être réduites à une simple communication territoriale. Elles doivent, au contraire, émaner d’un projet complet avec des objectifs chiffrés qui découlent d’une stratégie de développement. Le marketing de territoire doit alors répondre à des objectifs chiffrés, en termes économique et social, mais aussi, en termes d’aménagement de territoire et de bien-être du citoyen. «Aujourd’hui, le concept a évolué pour prendre en compte l’épaisseur du territoire. Les acteurs doivent être inspirés par un projet territorial pour s’y engager et pour créer de la richesse et aboutir à un bien-être territorial», a-t-elle précisé. Et d’ajouter : «l’Etat continue à planifier l’aménagement et l’économie du territoire, mais les localités doivent apporter leur propre projet local».
S’agissant du pilotage de l’attractivité territoriale, Ameur a précisé que les acteurs privés locaux peuvent mener et orchestrer ces stratégies de marketing d’autant plus que l’acteur public, notamment les municipalités sont dépourvues de ressources. Le projet «Sicca veneria» au Kef, qui était au départ un projet culturel et qui s’est mué en une démarche citoyenne qui vise le développement d’une activité touristique, en est la parfaite illustration. «En 2022, la commune n’a pas les moyens pour aller au-delà de ce qu’elle fait aujourd’hui et pour accéder aux prérogatives qui lui ont été accordées par le Code des collectivités locales. Les choses peuvent se faire par les acteurs privés qui se fédèrent et se mettent en structure. Et l’acteur public lui-même se greffe et accompagne ces démarches. C’est aussi l’exemple de Sfax International qui est une réaction à une absence d’investissements publics», a-t-elle expliqué.
L’attractivité territoriale est un enjeu de bien-être
De son côté, Walid Bel Haj Amor, directeur général du groupe «Comete Engineering», a souligné que l’attractivité territoriale est un enjeu qui se rapporte au bien-être des habitants et se décline en facteurs concrets impactant la vie du citoyen au quotidien, tels que la qualité de la vie, la mobilité, l’emploi, l’investissement… Le vice-président de l’Iace s’est attardé sur la différence entre un territoire qui est un ensemble de ressources et d’enjeux, et une région qui est une division administrative. De ce fait, plusieurs régions peuvent constituer un même territoire et, donc, les mêmes enjeux. Les politiques d’aménagement du territoire doivent alors prendre en compte cette différence et être élaborées en conséquence. Bel Haj Amor a expliqué que la problématique de l’attractivité régionale soulève la question des ressources et de leur valorisation, affirmant que la discrimination positive consiste à offrir une qualité de vie égale sur l’ensemble des territoires du pays pour attirer l’investissement. Il a, en ce sens, pointé l’échec des politiques d’aménagement des territoires, lequel échec est dû, selon ses dires, à l’absence d’outils, de législations adéquates, de vision, et même de compréhension des conséquences de la non-attractivité des villes à l’échelle macroéconomique.
Notons que, lors du forum, les spécialistes ont, également, débattu des outils de planification du développement des territoires et de la Stratégie de développement des villes (SDV). Des représentants de communes ont livré des témoignages sur leurs expériences dans la promotion de l’attractivité territoriale, à l’instar de l’architecte de la commune de Gabès, Mohamed Cherif Taher, qui a mis l’accent sur l’importance de la SDV en tant qu’outil de planification qui a permis aux habitants de remettre la question écologique en tête des priorités de la ville. Rappelons, par ailleurs, que le forum s’inscrit dans le cadre de la deuxième phase du programme «Madinatouna», qui est un projet financé par la direction du développement et de la coopération suisse et mis en œuvre par «Cities Alliance». Il vise à appuyer quatre communes, Béjà, Jendouba, Tataouine et Médenine pour les accompagner dans l’exécution de leurs projets et les aider à décliner leurs plans de développements locaux, notamment à travers un programme de renforcement de capacité.
lapresse.tn
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