Maggie CAZAL (USF) : « il faut moderniser l’urbanisme avec les besoins actuels et les objectifs futurs du continent …»

Maggie CAZAL (USF) : « il faut moderniser l’urbanisme avec les besoins actuels et les objectifs futurs du continent …»

Au courant du mois d’octobre, la Présidente-Fondatrice de Urbanistes Sans Frontières (USF) Maggie Cazal a effectué une tournée dans plusieurs pays africains. Dans ce programme dénommé «Urban October en Afrique pour la ville durable», 36 événements ont été organisés en France et en Afrique par USF et ses partenaires. Dans cette interview, Dr Maggie Cazal revient sur le sens de cette tournée et les enjeux de la prise en compte par les collectivités africaines des actions de développement durable dans leur planification territoriale.

USF et ses partenaires viennent de boucler un mois d’activité dans des pays africains, quel a été le sens de cette action ?

Nos activités du mois d’octobre s’inscrivent dans le cadre de notre programme « Afrique VillesDurables ». Ce programme est constitué d’un ensemble d’activités ; des forums, des tables rondes, des groupes de travail, des projets pilotes. Des activités que nous avons démarré, d’ailleurs, depuis début de l’année dernière. Le mois d’octobre étant dédié à l’urbanisme, nous avons monté un cycle d’actions événementielles avec nos partenaires, membres de notre Coalition Internationale pour la Ville et les Territoires Durables. Une coalition que nous avons créée l’année dernière. Pour le mois d’octobre, l’idée était de réunir tous les acteurs concernés à travers différentsévénements. Il s’agit des acteurs de la société civile (associations, ong locales, groupements professionnels, universités, centres de recherches et petites entreprises). Dans cette démarche, notre action d’octobre avait pour titre « A l’écoute de la société civile pour la fabrique de la ville durable en Afrique »

En trois semaines, collectivement avec la société civile, nous avons réussi à organiser desévénements dans 14 pays d’Afrique.USF a coordonné l’organisation de 36 évènements dans ces différents pays y compris la France qui dispose d’uneimportante diaspora africaine. Dans le cadre de cette série d’événements, entre le 7 et le 9 octobre, nous avons reçu à Paris plusieurs délégations africaines notamment du Sénégal. L’ensemble de nos événements a mis en avant le rôle et les devoirs de la société civile pour le développement durable des villes et des territoires. Chaque événement ciblant une thématique spécifique a été conclu par des recommandations. Les résultats de cette grande consultation comprenant les problématiques débattues, les demandes et les recommandations seront livrés aux décideurs et aux autorités locales afin de travailler ensemble sur les réponses à apporter.

Quelle est la prochaine étape ?

Cette étape sera consacrée à la restitution des résultats obtenus., d’abord à CGLUAfrique et ensuite aux collectivités territoriales. Dans ce cadre, d’ailleurs, une conférence de presse a été coorganisée par USF et CGLU A, le 31 octobre pour marquer la journée mondiale des villes. L’objectif est de communiquer aux collectivités locales africaines la démarche de la société civile ainsi que leurs recommandations concernant l’organisation de la gouvernance participative.

Durant cette étape, nous analysons les recommandations pour classer les demandes par famille thématique et, puis, proposer des pistes de solutions pour la mise en œuvre des recommandations.Les acteurs de la société civile souhaitent activement être partie prenante des politiques publiques. Ils estiment leurs rôles très importants et utiles pour les collectivités territoriales.

Pensez-vous que les collectivités territoriales africaines sont en mesure de faire face aux problématiques liées au développement durable ?

Les collectivités locales, seules et isolées, ne peuvent pas faire face aux enjeux du développement durable. C’est une mission impossible. C’est pourquoi, nous avons mobilisé la société civile et les universités. Les collectivités locales ont besoin d’être accompagnées par l’ensemble des composantes de la société.Dans notre démarche, la société civile ne revendique pas simplement la participation aux décisions ; elle propose des solutions techniques et administratives et tend la main aux collectivités pour un partenariat permanent.

Le constat c’est qu’également beaucoup de collectivités africaines ne travaillent pas sur ces questions, Quels conseils leur donnez-vous ?

Cellesqui n’interviennent pasdans la planification territorialisée du développement durable ont leurs raisons. En général, parce que leur pays n’est pas encore doté de dispositifs de décentralisation opérationnelle. Donc, elles n’ont pas les prérogatives pour le faire. USF a donné beaucoup de recommandations lors du précédent sommet Africités pour que les collectivités soient véritablement conscientes du rôle qu’elles doivent pouvoir jouer. Une mairie est constituée d’élus et de services administratifs et techniques. Les élus, seuls,ne peuvent pas tout faire et de tout décider pour l’avenir du territoire et de sa population. Ils ont besoin de la force des citoyens. Seuls, ils ne peuvent pas réclamer la décentralisation. Seuls, ils ne peuvent pas hiérarchiser les priorités et fixer les budgets. Seuls, ils ne peuvent pas gérer la ville. Aujourd’hui, la société civile et la population demandent la démocratie participative, sollicitentd’être associéesaux choix budgétaires, d’être partie prenante de la programmation des projets. Nous avons besoin de créer les structures de la gouvernance partagée et les modalités de la gestion participative des villes futures.

En Afrique beaucoup de collectivités territoriales ne disposent pas de plans d’urbanisme. Est-ce qu’elles sont conscientes de l’importance de ces documents ? Qu’en pensez-vous ?

Il est, bien entendu, indispensable de se doter de documents d’urbanisme. Mais, avant d’élaborer le plan d’urbanisme, il faut disposer des données statistiques et prospectives, analyser le contexte environnemental, social et économique et préciser les objectifs. Il faut donc prendre en compte l’Agenda 2030 et se mettre en parfaite adéquation avec les 17 objectifs de développement durable (ODD). De plus, des documents supra-communaux sont nécessaires pour réaliser des plans d’urbanisme locaux en cohérence avec, notamment, les orientations d’aménagement à l’échelle régionale. Il s’agit ici des régions au sein du pays et des régions à l’échelle de l’Afrique. Dans le cadre de l’aménagement du territoire du pays, il est primordial de faire la connexion entre les différents villages, les petites villes et les métropoles. Pour nous l’idée est d’aller au-delà des anciens schémas directeurs et de développer dans l’aménagement du territoiredes villes intermédiaires pour renforcer les zones rurales et évidemment soutenir les populations dans les zones péri-urbaines et rurales ; en mettant l’accent sur le développement des activités pour les jeunes et pour les femmes.

Cela pose-t-il également la question de la planification spatiale et physique dans les pays africains ?

Bien évidemment. Aujourd’hui, la planificationstratégique du territoire précisant les grandes orientations d’aménagement à grande échelle ainsi que la planification physique précisant le positionnement des infrastructures, la répartition des équipements, la forme des espaces publics et des bâtiments, ne peuvent s’élaborer uniquement entre les autorités et les professionnels. Il y a besoin du débat public. Il y a besoin de l’adhésion de la population et du secteur privé qui participent au financement des projets structurants. C’est pourquoi, la société civile doit participer au diagnostic et aux orientations d’aménagement du territoire comme une force de proposition.  Il s’agit ici de la société civile organisée, formée et informée afin de garantir des débats constructifs etinnovants.

Quelles sont les prochaines actions d’USF en Afrique et pour les villes africaines ?

Nous avons plusieurs actions prévues et programmées. Avec la tournée qui vient d’être bouclée, les coorganisateursdes événements dans les 14 pays vont travailler sur les recommandations par catégorie d’acteurs. Avec les universités africaines, par exemple,USFanalysera et proposera des feuilles de route pour moderniser le cursus de l’enseignement de l’urbanisme en adéquations avec les enjeux du développement durable et du changement climatique. Pour les études urbaines, USF renforcera ses actions multi-acteurs pour la réalisation de ses projets pilotes et innovants dans plusieurs villes : Lagos (Nigeria), Yaoundé (Cameroun), Pikine (Sénégal), Salé (Maroc), Addis Abeba (Ethiopie).

Parallèlement, nous étudions la faisabilité de refaire un deuxième cycle événementiel en faveur de la participation de la société civile afin de donner la possibilité à d’autres pays africains de prendre part à cette grande consultation pour les villes durables en Afrique. Ensuite, toutes les propositions seront reformulées et livrées à CGLU Afrique pour continuer notre travail collaboratif et partenarial. Aussi, nous aurons des forums et des ateliers dans plusieurs pays d’Afrique pour discuter avec les collectivités territoriales des solutions à mettre en place ainsi que des feuilles de route concernant la territorialisation des ODD et l’accompagnement des collectivités pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030.

Les grands rendez-vous qui nous attendent sont, notamment, l’assemblée de CGLU monde à Durban, les rencontres avec nos partenaires africains au Forum Urbain Mondial et,bien évidemment, le Sommet Afrique-France 2020 consacré à la ville durable.

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